La confrontation Iran-Arabie saoudite

wikipedia-segallL’exécution du cheikh Nimr Baqer al-Nimr, l’un des plus importants chefs religieux chiites du royaume saoudien, déclenche de graves tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Cette nouvelle confrontation ranime les vielles rancunes et le désir de vengeance de chaque courant de l’Islam.

Le Guide suprême, l’Ayatollah Khamenei, a déclaré juste après l’exécution du cheikh chiite : « Sans aucun doute, le sang du martyr innocent versé injustement par des criminels aura des conséquences graves. Les dirigeants saoudiens seront tôt ou tard punis par la ‘vengeance divine’ ».

Cette tension entre ces deux puissances régionales déclenche également la bataille pour l’hégémonie au sein du monde islamique.

Rappelons que la confrontation entre sunnites et chiites ne date pas d’hier, elle existe depuis l’aube de l’Islam. Ces relations tendues entre les deux principaux courants islamiques ont marqué de leur empreinte les jalons de l’Histoire arabe et musulmane. Depuis la conquête wahhabite de la péninsule arabique jusqu’à ce jour, les chiites sont traités comme des parias. Désormais, le chiite demeure une cible méprisable qui devrait être écartée et repoussée avec force par la société sunnite.

Dans ce contexte, et à la lumière des aspirations idéologiques, religieuses et nationales de l’Iran renforcées par la faiblesse du monde arabe, la compétition pour l’hégémonie est susceptible d’intensifier encore plus les querelles.

Ces dernières années, l’Iran et l’Arabie Saoudite sont déjà dans le sillon d’une « guerre froide » sur le rôle d’influence à jouer au Moyen-Orient.

La lutte entre les deux pays islamiques s’intensifie en fonction des différents développements régionaux et internationaux. Depuis que l’Iran a choisi de développer son projet nucléaire, les Saoudiens craignent plus encore la menace chiite.

L’exécution du cheikh Nimr Baqer al-Nimr est sans doute le point culminant dans les relations des deux pays voisins. Le cheikh fut le leader de la protestation chiite durant le Printemps arabe. Dans ses sermons il avait critiqué la maison royale saoudienne et exprimé son soutien inconditionnel à l’Iran. Il a été accusé avec 42 autres chiites d’incitation à la haine, de trahison et de terrorisme. Son exécution a provoqué des émeutes sanglantes dans la province de Qatif située dans la partie orientale du royaume qui est riche en pétrole.

L’Iran avait mis en garde Riyad contre cette exécution. Khamenei a réagi rapidement avec véhémence et a critiqué le silence de l’Occident et des organisations des droits de l’Homme. Ces paroles ont également été publiées sur les réseaux sociaux et en plusieurs langues.

Khamenei a attaqué les actions menées par l’Arabie saoudite et ses alliés contre les populations chiites au Bahreïn et au Yémen, ainsi que les assassinats ciblés attribués à Israël, notamment celui de Samir Kuntar et du cheikh Yassin, chef spirituel du Hamas, pourtant sunnite. Tous les médias iraniens ont publié des condamnations par les porte-paroles chiites à travers le monde.

L’exécution du cheikh Nimr Baqer al-Nimr a fait la manchette des journaux et a eu un grand retentissement en Irak, au Pakistan, au Liban, ainsi qu’au Yémen. Soulignons que le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) a aussi condamné cette exécution sommaire.

Ce tollé général a encouragé la foule iranienne à faire irruption à l’ambassade saoudienne de Téhéran. Sous les yeux des policiers iraniens, les nombreux assaillants ont saccagé l’ambassade, y ont mis le feu, et ont profané le drapeau du royaume.

En représailles, l’Arabie Saoudite a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran, a rappelé tous ses diplomates et rapatrié ses ressortissants. Le Bahreïn, le Koweït, les Emirats Arabes Unis et le Soudan ont suivi Riyad en rompant eu aussi leurs relations diplomatiques avec Téhéran.

Le lendemain, le nom de la rue où est située l’ambassade saoudienne (Boustan) a été changée pour prendre le nom de Nimr Baqer al-Nimr. Rappelons qu’après l’assassinat du président Sadate en octobre 1981, les autorités iraniennes avaient également changé le nom de la rue de l’ambassade d’Egypte par le nom de l’assassin Khaled al-Islambouli, et un timbre avait même été émis en son souvenir.

L’Arabie Saoudite avait rompu ses relations avec l’Iran en 1988 et les a renouvelées après la Première guerre du Golfe en 1991. Riyad avait accusé l’Iran de mener des subversions sur son territoire et dans les Etats du Golfe persique.

En Juillet 1987, lors du pèlerinage traditionnel à la Mecque, les forces de sécurité saoudiennes avaient provoqué des pèlerins iraniens au cours de la cérémonie du “désaveu des infidèles”. Lors de ces affrontements des centaines de pèlerins ont été tués et avec eux plusieurs policiers saoudiens.

L’Iran avait vengé la mort de ses compatriotes par une série d’attaques contre des diplomates saoudiens à l’étranger. En septembre 2014, lors d’une immense bousculade, des centaines de pèlerins venus du monde entier ont à nouveau été tués. L’Iran a accusé le royaume saoudien de « mauvaise organisation » et a mis en cause les responsables saoudiens de la catastrophe, et de la mort d’une quarantaine de pèlerins chiites iraniens.

A la suite de l’exécution de Cheikh Nimr, la tension est montée d’un cran entre les deux puissances régionales. D’un côté, l’Iran chiite, victorieux après la signature de l’accord nucléaire avec l’Occident lui permettant de programmer à long terme son projet atomique, de réhabiliter son économie et de renforcer son influence régionale avec un consentement américain. De l’autre côté, l’Arabie saoudite sunnite, qui cherche à stabiliser le monde arabe depuis la « trahison » de l’Amérique suite au Printemps arabe. Riyad souhaite également assurer sa propre stabilité intérieure et son statut privilégié au sein du monde musulman suite à la renaissance chiite en Irak et au Yémen.

Les deux Etats se livrent à une guerre froide pour pouvoir façonner, chacun à sa manière et selon ses convictions, une région plongée depuis le Printemps arabe dans le désarroi total.

Cette lutte est menée principalement au Yémen contre les Houthis soutenus par Téhéran, mais aussi en Syrie où l’Iran agit sur le terrain pour maintenir Assad au pouvoir, au Bahreïn, où la majorité de la population est chiite, et enfin en Irak où des milices chiites soutenues par l’Iran sont confrontées à l’Etat islamique.

Le fossé entre sunnites et chiites ne peut être comblé dans un proche avenir en raison des développements dramatiques et des changements historiques que la région a connus ces dernières années. Ces changements sont d’ordre politique car les frontières établies par les puissances coloniales sont redessinées. Après le départ des troupes américaines du Moyen-Orient, la Russie est entrée en jeu dans un environnement nouveau où l’activité des acteurs non-étatiques, en particulier l’État islamique, devient de plus en plus dangereuse pour la stabilité de toute la région.

A court terme, Téhéran va essayer, à travers ses agents, de frapper des cibles saoudiennes, tandis que Riyad va probablement entraver les efforts visant à trouver une solution diplomatique à la crise au Yémen et en Syrie. Les Saoudiens continueront à fournir une aide financière et une assistance aux rebelles sunnites pour conjurer la menace iranienne chiite. Ils formeront également un bloc arabe pour contrer la menace nucléaire de l’Iran.

Soulignons que l’Arabie saoudite a abandonné sa politique étrangère passive, et depuis le couronnement du roi Salman, elle combat avec force contre le terrorisme et la subversion chiite. Le roi d’Arabie saoudite possède de nombreux leviers et outils pour nuire à l’économie iranienne, il est par exemple capable d’augmenter sa production de pétrole et ainsi d’entraîner une brusque chute du prix du baril.

De son côté, l’Iran va faire pression sur l’Arabie saoudite et le monde arabe sunnite par le biais de son programme nucléaire, et de ce fait prendra sa revanche.

Il pourra avec sa dissuasion atomique corriger l’injustice historique – remontant à l’aube de l’Islam – et rectifiera le tir sur le traitement méprisant et arrogant des chiites par les sunnites. Il présentera également une alternative islamique chiite appropriée dans la lutte pour l’hégémonie du Moyen-Orient et face à l’Occident.

Dans ce contexte explosif, l’Arabie saoudite et l’Iran se préparent à leur propre « jour de gloire ». La guerre froide entre les deux pays pourrait alors devenir très chaude.

Michael Segall


Pour citer cet article :

Michael Segall, « La confrontation Iran-Arabie saoudite », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/confrontation-iran-arabie-saoudite/


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