Les concessions de Sissi à l’Arabie saoudite

wikipedia-jacquesLe transfert à l’Arabie saoudite de deux îles en mer Rouge suscite une vive polémique en Egypte.

Lors de la visite du roi Salman au Caire, les îles Sanafir et Tiran ont été reconnues saoudiennes par le gouvernement égyptien, au grand dam d’une partie de l’opinion publique.

C’est par ces deux îles que doit passer le pont que l’Arabie saoudite projette de bâtir entre les deux pays.

Soulignons que ces îles contrôlent l’entrée du Golfe d’Aqaba et donc du port israélien d’Eilat. La fermeture du détroit de Tiran par le colonel Nasser en juin 1967 a provoqué la guerre des Six Jours et Israël les a occupées jusqu’au traité de paix signé en 1979 entre Menahem Begin et Anouar el Sadate. Depuis, Tiran est occupée par les observateurs de la Force multinationale installés dans la péninsule du Sinaï.

Parmi les accords signés à l’occasion de la visite du roi Salman au Caire, les deux îles seront placées sous souveraineté des eaux saoudiennes. Pour justifier ce transfert, le Maréchal Sissi a souligné que Riyad avait demandé en 1950 à l’Egypte « d’assurer la sécurité des deux îles ».

Malgré l’accueil triomphal du roi Salman, une forte polémique divise actuellement l’Egypte, une partie de l’opinion refusant que ces deux îles stratégiques soient reconnues saoudiennes.

On reproche au président Sissi de « vendre » les îles à l’Arabie saoudite en échange d’une importante aide économique.

Contrairement au passé, Sissi a choisi de faire face à ses détracteurs et, dans un discours fleuve, il a défendu sa politique en critiquant sévèrement tous ceux qui veulent nuire à l’Egypte, en particulier les Frères musulmans et les Salafistes.

Voilà déjà deux ans que Sissi est au pouvoir et, depuis son élection éclatante, il est toujours mis à l’épreuve et souffre actuellement d’une forte baisse de popularité et de critiques acerbes. Aussi, l’affaire de la mort de l’étudiant italien Giulio Regeni, qui faisait des recherches sur les syndicats en Egypte, a aggravé considérablement la situation. Enlevé au Caire, le corps du jeune Regeni a été retrouvé avec des marques de tortures qui auraient été commises par les services secrets égyptiens.

Le gouvernement italien avait rappelé son ambassadeur pour consultations et la presse italienne a accusé l’Egypte de réprimer les étrangers et de bafouer les droits de l’Homme et la liberté d’expression.

Dans ce contexte, et face à la crise socio-économique que traverse l’Egypte depuis la chute de Moubarak, le transfert des deux îles aggrave une situation déjà explosive, Sissi est même accusé par ses détracteurs de trahison.

Ahmad Sayed Alnajjar, directeur du prestigieux journal Al-Ahram, a écrit sur le sujet : « La patrie n’est pas une chambre à louer ou une station de voyage ». Sur sa page Facebook, Alnajjar a ajouté : « Oum Rachrach (nom arabe d’Eilat) est un ‘bijou volé’. Je suis profondément convaincu », ajoute-t-il, « que nous allons le récupérer un jour ». Selon lui, Sanafir et Tiran ont été défendues jusqu’à ce jour « par le sang des soldats égyptiens, et grâce au courage remarquable et héroïque de nos compatriotes. Ils ont réussi à sauvegarder les détroits stratégiques qui surplombent l’entrée du golfe d’Aqaba dans des moments terribles où le destin de l’Egypte était en jeu. Nos frontières nationales sont et seront à jamais intouchables ».

Dans la presse égyptienne et les réseaux sociaux, nombreuses sont les caricatures qui ridiculisent le président Sissi. Une bande dessinée montre le Sphinx égyptien portant une kafiya saoudienne. Un illustre satiriste, Bassem Youssef, vivant actuellement en exil, se moque de l’accord signé avec l’Arabie saoudite en écrivant sur Tweeter : « Désormais, une ‘île égyptienne vaut un milliard de dollars, une pyramide deux milliards, mais vous pouvez obtenir également avec votre achat deux statues gratuitement! »

Les leaders de l’opposition accusent Sissi de perte de légitimité en soulignant que sa décision de restituer les deux îles est contraire aux clauses de la nouvelle Constitution. L’affaire est si importante, selon eux, qu’elle devrait être tranchée par un référendum conformément à l’article 151 de la Constitution.

Face à la colère croissante contre sa politique, le président Sissi a décidé de réagir avec force et a souligné que l’armée égyptienne était le seule défenseur l’Egypte et seul garant dans la stabilité du régime. Toutefois, il a accepté que le Parlement débatte de la question et qu’il est bien de son pouvoir de rejeter ou de valider l’accord avec l’Arabie saoudite.

Le président Sissi est bien conscient des nombreuses critiques contre son régime. Les problèmes suivants n’ont pas été résolus et ils risquent sans doute d’ébranler son pouvoir :

  1. Le combat inlassable contre les Frères musulmans, les Salafistes et les djihadistes est toujours en cours. L’armée égyptienne, bien que marquant des succès dans le Sinaï, n’a pas encore éliminé la présence de Daesh et ses groupuscules installés dans la péninsule ;
  1. L’Egypte n’a toujours pas résolu le problème des milliers de ses citoyens vivant dans la terreur en Libye ;
  1. La question de la répartition des eaux du Nil n’a pas été résolue avec l’Ethiopie. En outre, le Soudan a soulevé l’avenir du « Triangle de Halayeb », une bande de terre de 20 580 km2 située au nord du 22e parallèle qui délimite la frontière officielle entre les deux Etats le long de la mer Rouge, et qui est toujours revendiquée par Égypte ;
  1. L’Egypte donne l’impression qu’elle soutient presque aveuglément la politique saoudienne au Yémen, en Syrie, en Turquie et face à l’Iran ;
  1. Soulignons qu’il existe une pleine coordination entre Riyad et Le Caire concernant la politique étrangère dans la région. L’Egypte a adopté l’initiative saoudienne pour établir une force militaire arabe afin de faire face au djihadistes. Pour la première fois depuis la première guerre du Yémen des années 1960, l’Egypte a accepté d’envoyer des forces expéditionnaires pour lutter contre les rebelles ;
  1. Suite à l’explosion d’un avion de ligne russe dans le Sinaï, l’Egypte avait nié au départ la piste terroriste et qu’une bombe avait été placée par l’un des employés de l’aéroport de Charm el Cheick. En conséquence, les relations avec Moscou se sont détériorées et le tourisme est en considérable régression ;
  1. L’Egypte avait agi de la sorte aux requêtes italiennes après la mort de l’étudiant Giulio Regeni. Il est notoire que la police secrète égyptienne a arrêté des centaines, voire des milliers d’opposants au régime, dont certains ont disparu soudainement. Au lieu de donner une explication plausible, le gouvernement égyptien a choisi de donner aux Italiens différentes versions des faits, qui toutes furent rejetées catégoriquement par les enquêteurs italiens. Le comble est que l’Egypte avait refusé de remettre à l’Italie les fichiers d’enregistrement des communications cellulaires de l’étudiant. Dans son discours au Parlement, Sissi a essayé de minimiser les dommages causés dans les relations avec Rome, et a ordonné une transparence totale dans l’enquête ;
  1. Enfin, Sissi n’a pas réussi à résoudre la crise économique de l’Egypte. Il dépend actuellement de l’aide financière promise par l’Arabie saoudite et les pays du Golfe. Sans ces milliards de dollars, l’Egypte plongerait dans le marasme économique. Rappelons que l’Arabie saoudite a offert son aide à l’Egypte depuis 2013, mais la chute des prix du pétrole et l’effort de guerre au Yémen ont obligé Riyad de réviser ses priorités. La récente visite du monarque saoudien et les milliards promis à l’Egypte relancent le débat avec la restitution des deux îles, mais aussi en raison des relations tumultueuses qu’ont connu les deux pays voisins. Les opposants à Sissi pensent qu’il serait impossible de nouer une alliance viable entre un régime militaire et une monarchie féodale et tribale qui a mené souvent une politique hostile à leur égard.

Deux ans depuis son élection, Sissi a donc perdu beaucoup de sa crédibilité. L’homme de la providence, dont les portraits figuraient partout et que les Egyptiens adoraient et pour lequel ils développaient un culte de la personnalité, n’est plus populaire comme l’a été Gamal Abdel Nasser.

Dans ce contexte le président égyptien devrait agir rapidement pour redorer son blason. Son régime n’est pas en danger mais pour survivre et assurer la stabilité de son pays, il devrait manœuvrer avec beaucoup de tact et habileté, afin de prouver à son peuple non seulement ses bonnes intentions patriotiques, mais aussi le fait que la situation actuelle n’est que passagère et que l’Egypte retrouvera bientôt des jours meilleurs.

Jacques Neriah

 


Pour citer cet article : 

Jacques Neriah, « Les concessions de Sissi à l’Arabie saoudite », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/concessions-sissi-egypte-arabie-saoudite/