Coalition américaine contre l’Etat islamique : quel rôle pour les pays arabes ?
Mauvaise passe pour le président Obama, obligé de reconnaître par deux fois en moins d’un mois que son gouvernement n’a pas été à la hauteur : lui-même a été incapable d’élaborer une stratégie contre l’Etat Islamique et ses services ne lui auraient pas fourni à temps les renseignements sur un mouvement présentant une menace grandissante pour l’Occident.
Obama cherche maintenant à persuader en catastrophe le plus grand nombre possible d’Etats arabes de rejoindre la coalition dont il a pris la tête. Il s’agit en effet de démontrer que loin de combattre les pays d’Islam il veut les protéger contre des éléments extrémistes. Réagissant au meurtre barbare de Steve Sotloff, il a immédiatement déclaré que les assassins ne représentaient aucune religion et a enfoncé le clou en ajoutant que l’Etat Islamique ne représentait pas l’Islam. Des déclarations conformes à la ligne adoptée par le président qui ne cache pas sa sympathie pour l’Islam et a affirmé sa volonté de tourner la page après des décennies de conflits politiques et miliaires qui auraient, selon lui, convaincu les musulmans que les Etats Unis étaient contre l’Islam et les opprimaient sans raison ; une conviction que les attentats du 11 septembre n’ont pas remis en cause.
Obama n’a pas ménagé ses efforts pour se concilier les musulmans. Après les discours du Caire et d’Ankara, prononcés peu après son entrée en fonction, il s’est engagé à fermer Guantanamo puis il a laissé tomber Moubarak, le grand ami de l’Amérique, a poussé au renversement de Kadhafi, a retiré les soldats américains d’Irak, a trop longtemps refusé de s’impliquer en Syrie, hormis sur la question des armes chimiques, a fixé un calendrier pour le retrait des troupes américaines d’Afghanistan ; par-dessus tout il a multiplié les contacts avec les Frères musulmans.
Obama est toujours aussi convaincu que la Confrérie des Frères musulmans représente un Islam modéré capable de promouvoir la démocratie et le progrès et il n’a pas pardonné au nouveau régime égyptien d’avoir écarté Morsi. Obama cherche encore un « compromis acceptable » avec l’Iran sur les ambitions nucléaires de ce pays. Bref, il a poursuivi une politique de désengagement vis-à-vis du Moyen Orient sans se préoccuper de ses alliés traditionnels – Arabie saoudite ou pays du Golfe. Résultat ? La Libye est en pleine désintégration, l’Egypte, longtemps base de la politique américaine dans la région, attend toujours le matériel militaire sophistiqué dont elle a besoin dans sa lutte contre le terrorisme, et dont la livraison a été « suspendue » pour punir le Caire de son crime de lèse-Morsi.
Pendant ce temps, les organisations islamistes les plus extrémistes se développaient en sourdine, prêtes à faire basculer l’équilibre fragile du Moyen-Orient, et proclamant désormais haut et fort leur volonté d’imposer à la région et au monde – au besoin par la force – un califat renaissant. On peine à comprendre comment l’Amérique a pu « oublier » à quel point la région était volatile et la nécessité impérieuse d’observer de très près ce qu’il s’y passe pour préserver les intérêts vitaux de l’Occident. Le monde a vu avec incrédulité le président de la première Puissance mondiale avouer dans un premier temps qu’il ne savait pas quelle stratégie adopter contre l’Etat islamique avant d’ajouter que les formidables services de renseignement américains n’avaient pas repéré à temps la menace. Certains responsables desdits services ont pourtant protesté, rappelant qu’ils avaient sonné l’alarme il y a déjà huit mois. Prisonnier de sa conception de l’Islam, Obama ne les aurait-il pas pris au sérieux ?
Aujourd’hui son secrétaire d’Etat, Kerry, cherche désespérément et dans l’urgence à rallier les pays arabes à la coalition occidentale contre l’Etat islamique. L’Arabie saoudite, la Jordanie et les pays du Golfe ont donné leur accord sans enthousiasme. D’un côté ils se sentent directement menacés ; de l’autre Al Qaeda, l’Etat islamique et les autres mouvements djihadistes sont le produit de la stricte éducation wahhabite basée sur la Charia enseignée depuis des décennies dans ces pays. La preuve ? Selon une enquête non officielle menée en Arabie saoudite, 93% de la population soutiendrait l’Etat islamique et il en est sans doute de même dans les autres pays. Ce n’est pas tout. La puissante armée irakienne, forte de plus d’un demi-million d’hommes formés et armés par l’Amérique, a fondu comme neige au soleil devant quelques milliers de terroristes.
L’Arabie saoudite et les pays du Golfe n’ont donc pas envie d’envoyer leurs troupes nettement plus modestes combattre en Irak. Ces troupes sont le rempart des régimes autocratiques de ces pays et leur défaite laisserait le pouvoir sans défense. L’armée jordanienne est plus puissante mais aurait du mal à se battre si loin de ses bases ; elle se préoccupe essentiellement de défendre le pays contre les menaces venues du conflit syrien et contre une attaque éventuelle le long de sa frontière avec l’Irak.
Reste donc l’Egypte qui dispose de la plus grande armée de la région – et la plus disciplinée ; l’Egypte qui contrôle le canal de Suez et dont le vaste espace aérien est proche des champs de bataille de la Syrie et de l’Irak. Le Caire aurait donc dû être la pierre angulaire de la coalition. Dans l’était actuel des relations avec l’Amérique, cela n’arrivera pas. Certes le président Sissi n’a pas refusé de participer à la coalition, mais il a indiqué clairement que son pays n’enverrait pas de troupes. Selon lui on ne peut limiter la menace terroriste à l’Etat islamique ; il faut combattre aussi les autres mouvements terroristes, des Frères Musulmans et de leurs alliés d’Ansar Beit al Makdess à tous les autres. Il veut donc l’élaboration d’une stratégie régionale globale. Il ne s’est pas fait faute de rappeler aux Américains qu’il attend toujours la livraison des avions F16 et des hélicoptères Apache promis depuis longtemps alors que l’Egypte se bat sur deux fronts contre le terrorisme : d’un côté la péninsule du Sinaï et de l’autre la longue frontière avec la Libye.
La rencontre tant attendue entre les présidents égyptien et américain n’a rien donné. Obama a bien dit que l’Egypte avait été pendant des décennies la pierre angulaire de la politique américaine, mais les observateurs ont relevé qu’il avait utilisé le passé. Après la rencontre, Ben Rhodes, un des conseillers du président, a insisté sur le fait qu’Obama avait demandé la remise en liberté des journalistes d’Al Jazeera et avait exprimé son « inquiétude » concernant les droits de l’Homme en Egypte. Selon la presse égyptienne, Sissi pour sa part allait dire à son interlocuteur ce qu’il pensait de la politique américaine et souligner les dangers auxquels l’Egypte devait faire face. Selon un communiqué du ministère égyptien des Affaires étrangères, les deux leaders « sont tombés d’accord sur l’importance de bonnes relations entre leurs deux pays et ont chargé leurs ministres respectifs de poursuivre le dialogue stratégique. » En clair : Sissi soutiendra officiellement la coalition mais concentrera ses efforts sur la lutte contre le terrorisme chez lui ; l’isolement de l’Egypte encouragera par ailleurs les attaques des mouvements terroristes et même celles de l’Etat islamique.
Les frappes aériennes pourront-elles à elles seules venir à bout de l’Etat islamique ? Peu d’experts y croient. Alors qui ira se battre sur le terrain ? Et quand verra-t-on une stratégie globale contre la terreur au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ?
Zvi Mazel