Changement de cap dans la politique étrangère de l’Egypte
Pendant plus de 45 ans, l’Egypte s’est abstenue de lancer des opérations militaires au-delà de ses frontières, mais après la vague terroriste qui a déferlé dans le Sinaï et le chaos dans lequel le voisin libyen a basculé, le président Sissi a décidé d’utiliser la force pour protéger les intérêts vitaux de son pays.
L’armée égyptienne manquait d’expérience dans la lutte contre les milices paramilitaires et les groupes terroristes et elle avait de grandes difficultés dans le combat rural et urbain, à l’intérieur des villes et au sein des quartiers résidentiels.
L’étroite coopération avec Israël dans le domaine du Renseignement a permis à l’Egypte de défier les djihadistes dans la péninsule du Sinaï.
Pour la première fois depuis la signature du traité de paix, il existait une convergence d’intérêts entre Israël et l’Egypte sur la situation dans le Sinaï et dans la bande de Gaza.
Le président Sissi a fait comprendre à ses alliés arabes qu’ils pourraient un jour tomber dans le giron islamiste, et donc qu’il était impératif de réunir en urgence toutes les forces arabes modérées pour contrer ce danger.
Depuis la mort de Gamal Abdel Nasser en 1970, l’Egypte a été généralement réticente à mener des activités subversives dans la région. Certes, Sadate a déclenché la guerre du Kippour et Moubarak a participé à la coalition contre l’Irak de Saddam Hussein dans la Première guerre du Golfe en 1990. Cependant, cette dernière intervention ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une politique étrangère comme ce fut le cas contre le Yémen sous le régime de Nasser dans les années 1960.
L’armée égyptienne a subi de lourdes pertes et des défaites successives depuis 1948 au cours de ses guerres contre l’Israël et lors de la première guerre civile au Yémen. Dominante au sein de l’économie égyptienne, et représentant plus de 30% des activités économiques du pays, l’armée ne pourrait supporter d’autres échecs.
Depuis la mort de Nasser, la mission de l’armée égyptienne est limitée à la protection des frontières et à la sureté du régime. Elle est également considérée comme gardienne du peuple et du régime. Ce fut une grave erreur de la part des Frères musulmans de lui contester ce rôle traditionnel. On peut mieux comprendre pourquoi le Maréchal Sissi s’est révolté contre le président Morsi, membre de la confrérie des Frères musulmans.
Après sa prise du pouvoir, Abdel Fattah el-Sissi a engagé son armée dans le combat pour éradiquer les djihadistes dans le Sinaï, qui présentent une menace réelle pour la sécurité nationale de l’Egypte. Il a cherché à mettre fin aux attaques terroristes contre ses soldats, a survécu à deux tentatives d’assassinat et son ministre de l’Intérieur a été la cible d’un attentat à la voiture piégée.
Dès le départ, Sissi a été confronté à deux fronts : à l’Est dans le Sinaï, et dans la bande de Gaza avec le Hamas ; à l’Ouest avec la situation chaotique en Libye.
Pour ce faire, il a dû obtenir l’approbation d’Israël pour un redéploiement massif des forces égyptiennes dans le Sinaï. Israël a tout naturellement permis ce redéploiement, bien au-delà de ce qui a été convenu dans les Accords de Camp David de 1979.
Par des mesures radicales et sans précédent, Sissi a fermé le point de passage de la frontière avec Gaza, en le rouvrant de temps à autre pour des raisons humanitaires. Puis des ingénieurs de l’armée égyptienne ont détruit près de 2000 tunnels le long de la frontière de 11 kilomètres entre Gaza et le Sinaï. Ces tunnels servaient à la contrebande d’armes et de marchandises, et au passage clandestin de terroristes et de militants, membres de la confrérie des Frères musulmans.
Après avoir détruit les tunnels, Sissi a créé une zone tampon – un no man’s land – entre Gaza et le Sinaï. Dans ce but, il a ordonné la destruction de toutes les maisons construites dans cette zone ainsi que l’évacuation de centaines de familles de la ville égyptienne de Rafah pour les réinstaller dans le nord du Sinaï.
Parallèlement, Sissi a créé un nouveau commandement dans la péninsule, chargé de renforcer la sécurité dans le Sinaï et d’éradiquer les réseaux terroristes.
L’Egypte est consciente des liens entre les djihadistes du Sinaï et le Hamas. Rappelons que le Ministère égyptien de la Justice et des tribunaux ont désigné le Hamas comme un collaborateur des Frères musulmans. Le Hamas a été accusé d’avoir participé à des opérations terroristes contre des cibles égyptiennes à l’intérieur du pays ainsi que d’avoir hébergé des groupes terroristes et des dirigeants des Frères musulmans dans la bande de Gaza. Le Hamas a été désigné comme une organisation terroriste, ses avoirs furent gelés et ses activités à l’intérieur de l’Egypte interdites.
Toutefois, le 6 juin 2015, un tribunal égyptien a subitement cassé ce jugement, mais sans pour autant modifier fondamentalement la politique sécuritaire de l’Egypte vis- à-vis des djihadistes et du Hamas.
Les relations de l’Egypte avec la Libye ont été tumultueuses au cours des 45 dernières années, surtout en raison du caractère imprévisible du Colonel Kadhafi et de ses initiatives irrationnelles et rocambolesques.
Avec la désintégration de l’Etat libyen et la formation de deux gouvernements rivaux à Tobrouk et à Tripoli, la montée des organisations djihadistes, et l’émergence de l’Etat islamique (Daesh), il est évident que les menaces sur le flanc ouest de l’Egypte sont omniprésentes.
Rappelons que depuis la mort de Kadhafi, 1,8 millions de travailleurs égyptiens ont quitté la Libye pour retourner en Egypte. Le nombre de travailleurs existant aujourd’hui est estimé à 200.000. Les travailleurs égyptiens en Libye sont une source de tensions entre les deux pays. Les restrictions des visas, la fermeture des frontières par les deux parties, et les enlèvements de travailleurs migrants égyptiens sont monnaie courante en Libye.
Le 15 février 2015 un groupe armé affilié à l’Etat islamique en Libye a diffusé une vidéo montrant la décapitation de 21 coptes égyptiens. Le soir même, le président égyptien prononçait un discours émouvant dans lequel il condamnait cette décapitation barbare et promettait de se venger. Il a également convoqué le Conseil suprême pour envisager des représailles. Le lendemain, des avions de chasse F-16 lançaient des raids sur la ville de Darna contrôlée par Daesh.
Depuis lors, tous les médias et observateurs évoquent une éventuelle opération militaire à grande échelle dans l’est de la Libye pour prendre le contrôle de l’ensemble de la région Cyrénaïque et éliminer ainsi une menace djihadiste potentielle contre l’Egypte.
Le Président Sissi a cependant de nombreuses raisons de ne pas intervenir militairement en Libye, l’une d’elles étant le sort des centaines de milliers d’Egyptiens toujours installés en Libye. Une incursion terrestre de grande envergure semble peu probable pour l’heure. Mais il n’est pas exclu que Sissi poursuive sa politique régionale en ciblant les groupes islamistes et djihadistes en Afrique du Nord, sans pour autant prendre le risque d’être soumis à une condamnation internationale.
La préoccupation grandissante du Caire pour la situation libyenne soulève aussi la possibilité d’une intervention arabe collective et coordonnée.
Au Yémen, des Etats arabes modérés menés par l’Arabie saoudite ont réussi pour la première fois depuis 1948 à monter une coalition militaire contre un Etat arabe sans qu’elle soit liée au conflit avec Israël. Si certaines armées arabes avaient déjà rejoint la coalition militaire dans la première guerre du Golfe en Irak puis en Syrie, celle-ci était à l’époque conduite par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux.
Dans le cas du Yémen, les pays arabes modérés se battent pour la survie de leurs propres régimes, conscients que le terrorisme des djihadistes sunnites et que l’idéologie des Salafistes sont les principaux facteurs d’instabilité.
Soulignons, en conclusion, que le Président Sissi a démontré, contrairement à ses prédécesseurs, que l’utilisation de la force était justifiée pour protéger les intérêts nationaux vitaux égyptiens et pour combattre les ennemis du régime à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Plus encore, il préconise de créer une force d’intervention arabe régionale pour éradiquer le danger islamiste et terroriste.
Jacques Neriah
Pour citer cet article :
Jacques Neriah, «Changement de cap dans la politique étrangère de l’Egypte », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/changement-de-cap-dans-la-politique-etrangere-de-legypte/