Après Genève, les véritables ambitions de l’Iran
L’Occident doit veiller à ce que dans six mois, d’ici la fin de l’accord intérimaire qui vient d’être signé à Genève, l’Iran n’aura pas la capacité de se doter de la bombe nucléaire. Et si jamais l’Occident montrait quelque hésitation, c’est aux pays soumis à la menace iranienne de l’aiguillonner dans cette direction.
Depuis que le président iranien Hassan Rohani est arrivé au pouvoir, les efforts pour résoudre la question nucléaire iranienne ont redoublé, jusqu’à culminer le 24 novembre 2013 avec l’annonce d’un accord intérimaire entre Téhéran et le groupe « P 5 +1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France, plus l’Allemagne). Il semble que la communauté internationale, et en particulier les Etats-Unis, cherche à mettre les négociations nucléaires avec l’Iran sur une voie qui finira par adoucir les relations tendues qui ont prévalu entre eux depuis la Révolution islamique.
C’est un peu comme si les Américains avaient attendu le départ d’Ahmadinejad pour rouvrir le dossier nucléaire. Il faut dire qu’il était trop embarrassant pour l’Administration américaine de conclure un accord avec Ahmadinejad, qui ne cachait pas le visage brutal du régime islamique et ne feignait pas de suivre les règles diplomatiques. Le président Rohani au contraire, avec son réseau diplomatique, l’offensive de charme orchestrée par son ministre des Affaires étrangères et ses réseaux secrets (le sultanat d’Oman, le secrétaire d’Etat adjoint William Burns, l’Asia Society), a rendu le processus de négociations plus simple et plus lisse aux yeux des Etats-Unis.
L’accord intérimaire laisse l’Iran avec des capacités suffisantes pour produire du nucléaire militaire – à la fois en ce qui concerne l’enrichissement d’uranium, grâce aux centrifugeuses IR-M2, et par la voie du plutonium – si bien qu’il peut décider à tout moment de sortir des négociations, de violer les accords, voire même de continuer à développer clandestinement la bombe.
De fait, l’Occident devrait maintenir les sanctions effectives. L’Iran a déjà montré, dans les premières étapes des négociations, qu’il cherchait à transférer les sanctions du cadre du groupe « P 5 +1 » vers le Conseil de sécurité de l’ONU, essentiellement pour les faire annuler. L’Occident doit aussi conserver la menace militaire comme une option crédible, ce qui a déjà fait ses preuves dans le passé, y compris quand Rohani était à la tête de la délégation iranienne chargée des négociations nucléaires en 2003.
L’Occident doit aussi tirer les leçons de sa propre attitude et des accords qu’il a conclus avec Téhéran il y a dix ans. Aujourd’hui, l’Iran dispose de tous les composants pour fabriquer une bombe. Lors d’une réunion avec les étudiants, le 3 novembre 2013, le guide suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali Khamenei, a déclaré : « La situation actuelle en Iran est différente de celle [en 2003] où il a accepté de suspendre l’enrichissement d’uranium. A l’époque, nous avions commencé à mettre en route une ou deux centrifugeuses ; aujourd’hui des milliers sont en activité. »
L’Ayatollah Khamenei affirme que l’Occident utilise la question nucléaire uniquement comme un prétexte pour nuire à l’Iran et l’affaiblir comme il l’a toujours fait depuis le début de la Révolution. Khamenei souligne aussi la baisse de la puissance américaine et de son influence, y compris vis-à-vis de ses alliés, ainsi que les problèmes économiques qui l’affligent ; le tout contrastant avec la récente montée en puissance de l’Iran. Même s’il ne s’oppose pas aux négociations, Khamenei met en garde ses concitoyens. « Je ne suis pas optimiste, je ne pense pas que les discussions donneront le résultat escompté par le peuple iranien », a-t-il encore déclaré le 3 novembre dernier, avant de conclure : « Ne vous fiez pas à l’ennemi qui vous sourit. »
Par ses déclarations, Khamenei laisse à penser que Téhéran n’a pas vraiment besoin des négociations. Les Iraniens n’entrent pas dans les négociations nucléaires par faiblesse mais, au contraire, dans une position de force, et plutôt que d’avoir quelque chose à perdre dans les pourparlers, ils auraient tout à y gagner, comme ils ont déjà pu le constater avec la signature de l’accord intérimaire à Genève le 23 novembre. Les considérations qui ont poussé l’Iran à venir à la table de négociations sont à la fois la baisse régionale et internationale de l’influence américaine, et ses propres possibilités d’expansion dans le futur.
En réalité, l’Iran se prépare à deux scénarios principaux. Le premier a trait aux négociations en cours, pour lesquelles Téhéran est préparé à faire quelques concessions, sans pour autant dévier de la voie qu’il s’est fixée d’accéder à la bombe atomique par des moyens clandestins, ce qui lui permettra en outre de voir supprimer certaines sanctions qui pesaient sur lui et de laisser s’éroder en général le régime des sanctions.
Dans le second scénario, l’Iran reste ferme sur sa position face aux sanctions, renforce son statut régional et progresse vers la bombe tout en prenant un risque (qu’il évalue comme peu important) d’une attaque militaire contre ses installations nucléaires. En tout cas, le Guide suprême a préparé l’opinion publique iranienne à cette possibilité.
Michael Segall