Amérique, Islam et démocratie : l’impossible entente
« Je suis effrayé par l’évolution foudroyante de l’Islamisme européen en moins de dix ans », a récemment déclaré l’écrivain algérien libéral Boualem Sansal à un journal belge. Non seulement les pays européens ne cherchent même plus à se défendre mais « les ‘pays d’origine’ font tout pour contrebalancer une intégration réussie. Ils craignent que si les communautés maghrébines se francisent ou se belgicisent elles ‘pervertiront’ leur culture. »1 La percée de l’Islam aux Etats Unis et en Europe s’accentue ; les mouvements djihadistes cherchent à imposer par la force la loi d’Allah dans le monde. Le président américain poursuit pourtant sa politique d’apaisement vis-à-vis de l’Islam en dépit de ses échecs répétés.
Sur le terrain des groupes extrémistes islamiques utilisent leurs sites internet pour influencer les jeunes et les convaincre de se lancer dans des opérations terroristes. L’Arabie saoudite et les Emirats du Golfe financent directement ou à travers de riches hommes d’affaires la construction de mosquées et de centres islamiques à travers l’Europe. Aux Etats-Unis, où se trouvent beaucoup moins de musulmans, l’effort des organisations musulmanes n’en est pas moins puissant. Des centaines d’organisations se démènent pour radicaliser les communautés musulmanes ; elles déploient une politique d’intimidation contre les critiques de l’islam qu’elles accusent d’« islamophobie ». Divers documents saisis aux Etats-Unis et en Europe dans le cadre d’enquêtes sur des transferts de fonds illégaux à des organisations islamistes extrémistes mettent en lumière la stratégie des Frères musulmans et apportent la preuve irréfutable de leur volonté de saper de l’intérieur les pays occidentaux pour en prendre le contrôle. Selon ces documents, il faut tirer partie des valeurs démocratiques pour bloquer toute tentative d’exposer tant dans la presse que sur les campus universitaire les méthodes de la Confrérie. Parallèlement, cette dernière s’emploie à introduire ses membres à des postes clé du pouvoir. Une liste de hauts fonctionnaires occupant des postes dans les organes les plus sensibles de l’administration américaine a récemment été publiée sur des sites internet aux Etats-unis. Il y des écoles islamiques aux Etats-Unis et elles acceptent des étudiants non-musulmans qui sont alors soumis à leur prosélytisme. Par ailleurs, à Manhattan une école primaire vient d’annoncer que l’enseignement de l’arabe serait obligatoire à partir du prochain semestre.
Nous assistons à une véritable renaissance de l’Islam dans le monde. Paradoxalement, c’est dans l’échec de la modernisation dans les pays arabes et la frustration que cet échec provoque qu’il faut en chercher la cause. La jeunesse musulmane apprend dès le plus jeune âge la supériorité de l’Islam, dernière religion révélée et la seule véritable ; on lui répète que de l’espace aux océans l’univers doit devenir islamique. Arrivant à l’âge adulte, les jeunes découvrent qu’ils vivent dans un monde de pauvreté où société et science sont loin derrière l’Occident. Là est sans doute la clé de la fascination exercée par des organisations telles qu’Al-Qaïda qui proclament que pour restaurer la gloire de l’Islam il faut retourner à la charia telle qu’elle était pratiquée du temps du Prophète.
Le président Obama a choisi de ne pas tenir compte de l’ampleur de cette tendance mondiale qui a de profondes racines religieuses, politiques, économiques et même psychologiques. Il a entrepris dès son entrée en fonction une politique d’apaisement vis-à-vis de l’Islam. Il ne s’en départit pas malgré ses échecs répétés comme le démontrent ses efforts pour trouver un terrain d’entente avec l’Iran sur la question du programme nucléaire de ce pays. Lors de son discours inaugural en 2009, il a souligné la contribution de l’Islam au développement des Etats-Unis avant de mentionner celle du judaïsme. Quelques mois plus tard, il s’est rendu à Ankara et au Caire pour exposer sa vision aux pays musulmans. « Je suis venu ici au Caire chercher un nouveau début entre les Etats-Unis et les musulmans du monde entier, qui se fonde sur un intérêt et un respect mutuels ; qui se fonde sur le fait que l’Amérique et l’islam ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et ne sont pas voués à se faire concurrence. Au lieu de cela, ils se recoupent et partagent des principes communs : justice et progrès ; tolérance et dignité de tous les êtres humains. »
Le problème est qu’aucun musulman ne partage cette opinion. Démocratie et Islam ne sont pas compatibles et les beaux discours n’y font rien. La démocratie repose sur des élections libres à un parlement où des hommes et des femmes font des lois ; selon la charia seul Allah donne les lois et il est défendu d’avoir des partis politiques sollicitant le vote du peuple. La Confrérie des Frères musulmans n’a jamais cherché à fonder un parti avant la chute de Moubarak ; elle ne s’y est décidée que quand elle a compris qu’il y avait là une chance d’obtenir le pouvoir démocratiquement. D’ailleurs, Al-Qaïda s’est empressée de condamner cette décision au nom de la « pureté de l’Islam ». En Arabie saoudite et au Qatar, pays gouvernés sur la base de la charia, il n’y a pas de parlement mais un conseil consultatif islamique dont les membres sont nommés par le roi ou l’émir. On trouve bien des parlements dans les pays arabes qui ont connu des coups d’Etat militaires, mais ils ne sont là que pour donner l’apparence de la démocratie. Le « Printemps arabe » au nom si trompeur a mis fin à de telles dictatures, mais les élections qui se sont tenues en Tunisie et en Egypte ont porté au pouvoir les Frères musulmans. L’Occident s’en est félicité, qualifiant de pragmatique ou de modéré un mouvement qui a jeté les bases de l’Islam le plus extrémiste au XXe siècle et est à l’origine de toutes les organisations djihadistes. Un mouvement qui aujourd’hui encore affirme œuvrer à la restauration du Califat. Difficile de discerner les principes de tolérance et de dignité de tous les êtres humains dans l’Islam, religion qui proclame sa supériorité sur toutes les autres, considère les femmes comme inférieures, prescrit la peine de mort pour tout musulman se convertissant à une autre religion et continue à appliquer les châtiments corporels les plus barbares allant jusqu’à couper des membres. Certes, la période moderne a vu certains assouplissements et la charia n’est plus observée à la lettre, mais les principes fondamentaux de l’Islam demeurent et personne n’ose proposer des interprétations moins rigoureuses qui prendraient en considération la nouvelle réalité. D’ailleurs toute tentative en ce sens est strictement interdite depuis le XIe siècle.
La politique d’apaisement du président américain s’est doublée d’un changement sémantique. Des expressions telles que « Islam radical », « militants islamistes » ou « terreur djhadiste » ont été bannies en 2010. John Brennan, qui était alors chargé du combat contre le terrorisme a la Maison Blanche et est aujourd’hui directeur de la CIA, a déclaré qu’il ne fallait plus qualifier les ennemis des Etats-Unis de Djihadistes ou d’Islamistes car selon lui « le Djihad est un combat sacré, un effort de purification dans un but légitime. » Les manuels des services de renseignement et de contre-terrorisme ont été amendés pour tenir compte des nouvelles directives. Inutile de dire que pour leur part les organisations terroristes ont continué à clamer haut et fort qu’elles se battaient au nom de l’Islam.
Obama a alors annoncé son intention d’entamer un dialogue avec les Talibans d’Afghanistan, probablement la plus extrémiste des organisations djihadistes. Il s’agit d’un mouvement qui a ruiné le pays, détruisant au passage les célèbres statues de Bouddha, toute représentation de la personne humaine étant proscrite par la charia. Cet appel au dialogue a été généralement interprété comme une marque de faiblesse ; c’est ainsi que le président afghan l’a compris. Il était perdu d’avance bien que le Qatar ait accepté de laisser les Talibans ouvrir un bureau à Doha (ils ne sont pas venus.)
Mais c’est en Egypte que la politique américaine a échoué de la façon la plus spectaculaire. Les Etats-Unis ont pesé de tout leur poids en faveur des Frères musulmans. Le 4 février 2011, soit quelques jours avant la chute de Moubarak, le New York Times rapporte que a Maison Blanche s’attend à ce que le prochain gouvernement issu de la crise comprenne des Frères. Le 30 Juin 2011, c’est la secrétaire d’Etat Hillary Clinton qui déclare que les Etats-Unis souhaitent dialoguer avec ceux des Frères musulmans qui seraient prêts à leur parler. D’autres officiels expliquent que le gouvernement américain a décidé de développer les contacts avec la Confrérie. Des contacts qui n’étaient pas nouveaux. Déjà, dans les années cinquante, la CIA avait tenté de recruter les Frères dans sa lutte contre de l’Union soviétique « infidèle »et le président Eisenhower avait reçu à la Maison Blanche une délégation conduite par Saïd Ramadan, qui avait été le secrétaire de Hassan el Banna, fondateur du mouvement. En 2009, Nicole Champion, qui dirigeait la section « Egypte » au département d’Etat, déclarait au quotidien égyptien El Masry al Yom que les Etats-Unis entretenaient un dialogue avec les Frères, sans entrer dans les détails. Il s’agissait sans doute de contacts sporadiques, rien de plus. Ce qui est clair c’est qu’après la chute de Moubarak le président américain a parié sur la Confrérie, soit parce qu’il était persuadé que c’était la seule véritable force politique en Egypte, soit parce qu’il souhaitait entamer une nouvelle ère dans les relations entre son pays et l’Islam. Les relations étroites qui existaient entre le Conseil Suprême des Forces Armées et les Frères ont sans doute renforcé sa conviction. Quoi qu’il en soit, après les déclarations de Clinton l’existence des contacts ne faisait plus de doute. La presse égyptienne s’étendait sur le soutien politique et même financier que l’Amérique apportait aux Frères. Lorsque Morsi a été élu président, l’ambassadrice américaine au Caire Ann Paterson lui a exprimé son soutien à plusieurs occasions, ce qui n’a pas manqué d’exaspérer nombre d’Egyptiens. Aussi lorsqu’Hillary Clinton s’est rendue en Egypte en juillet 2012, sa voiture a essuyé des jets de tomates tandis que des manifestants brandissaient des placards attaquant l’attitude américaine. D’ailleurs, les jeunes des mouvements révolutionnaires qui avaient provoqué la chute de Moubarak ont refusé de la rencontrer. L’administration américaine n’a pas révisé sa position quand Morsi a pris une série de mesures en vue d’établir une dictature islamique malgré l’opposition d’une partie de plus en plus grande de la population. Quelques jours avant les manifestations de masse du 30 juin 2013 et l’arrestation du président égyptien, Ann Petersen tournait encore en dérision cette opposition. L’Amérique ne perdit pas de temps pour faire preuve de son mécontentement de l’arrestation de Morsi sans aller jusqu’à dire qu’il s’agissait d’un coup d’Etat militaire, ce qui l’aurait obligée à stopper son aide à l’Egypte. Quelques semaines plus tard, Obama se résignait à ne prendre qu’une demi-mesure : suspendre « temporairement » une partie de l’assistance militaire dont l’Egypte a tant besoin pour lutter contre la terreur islamique au Sinaï et faire face aux attaques armées des partisans du président déchu. L’opinion publique égyptienne a vu dans cette mesure une insulte et une atteinte à un pays qui pendant des dizaines d’années s’est montré un allié fidèle des Etats-Unis. Les sentiments anti-américains n’ont jamais été aussi virulents, d’autant que le nouveau régime en était réduit à faire appel à l’Arabie saoudite et aux Emirats du Golfe pour obtenir un soutien financier indispensable et qu’il laissait même entendre qu’il pourrait se tourner vers la Russie et la Chine pour obtenir armes et équipements militaires.
L’Amérique venait d’agir contre ses propres intérêts. En effet le régime actuel se bat contre les Frères musulmans, symbole de l’Islam radical, ennemi des Etats-Unis. Il cherche aussi à se rapprocher de l’Occident, qui lui tourne le dos. Tout cela affecte l’équilibre du Moyen-Orient d’autant que d’autres alliés de l’Amérique comme l’Arabie saoudite et les pays du Golfe n’arrivent pas à comprendre où Washington veut en venir. Les fluctuations d’Obama sur le dossier syrien n’ont rien arrangé. La visite qu’effectue actuellement John Kerry dans la région est un effort tardif pour tenter d’arranger les choses.
Tout laisse croire que la prochaine étape dans ce processus d’apaisement vis-à-vis de l’Islam va se traduire par un arrangement douteux avec l’Iran sur la poursuite de son programme nucléaire, qui ne l’empêchera pas d’acquérir plus tard l’arme atomique. Un arrangement qui ne satisferait ni Israël, ni l’Arabie saoudite et les pays du Golfe et pas même la Turquie et l’Egypte, et qui risquerait de plonger la région dans une course à l’armement nucléaire – mettant en danger non seulement le Moyen-Orient mais le monde entier.
Dans sa quête pour une ère nouvelle de relations avec les pays d’Islam, Obama était mu par une vision sincère mais erronée de la nature de l’Islam. Son initiative était condamnée à l’échec et a eu des résultats catastrophiques. Jamais les sentiments anti-américains n’ont été aussi violents au Moyen-Orient et les alliés de longue date sont inquiets. Comment en est-on arrivé là ? L’Amérique est-elle fatiguée de se battre après les années de guerre en Iraq et en Afghanistan ? Le président a-t-il vraiment cru qu’un compromis avec l’Islam radical était possible ? Les Américains produisent désormais suffisamment de pétrole grâce aux nouvelles techniques d’extraction à partir des schistes bitumineux ; sont-ils arrivés à la conclusion que le Moyen-Orient avait perdu de son importance maintenant qu’ils ne sont plus dépendants de l’or noir de la région ?
Zvi Mazel
1 Voir l’article : http://www.levif.be/info/actualite/international/je-ne-crois-pas-a-la-democratie-dans-le-monde-arabo-musulman/article-4000435439244.htm