L’accord russo-américain sur la Syrie et les préoccupations israéliennes
Israël est préoccupé par l’accord sur une trêve en Syrie.
Le 7 juillet dernier, lors des réunions du G-20 à Hambourg, le président américain Donald Trump et son homologue russe, Vladimir Poutine, ont décidé ensemble d’établir une zone de désescalade dans le sud-ouest de la Syrie.
Dans la capitale jordanienne, Amman, des experts russes, américains et jordaniens se sont mis d’accord sur un Mémorandum pour la création d’une « zone de désescalade » dans les régions de Deraa, Kouneitra et Soueida, a indiqué le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov. Dans un premier temps, « la sécurité autour de cette zone sera assurée par des forces et moyens de la police militaire russe en coordination avec les Jordaniens et les Américains », a-t-il précisé.
Son homologue américain, Rex Tillerson, a salué de son côté l’accord conclu entre les deux pays : « Il s’agit d’une première indication montrant que les Etats-Unis et la Russie sont capables de travailler de concert sur la Syrie ».
Rappelons que la Russie et l’Iran, alliés de Damas, ainsi que la Turquie, qui soutient des rebelles, ont adopté en mai 2017 le principe de la création de quatre zones sécurisées pour y instaurer une trêve durable. Mais ils ne se sont pas encore entendus sur la façon dont elles seront administrées. Moscou estime que la zone de « désescalade » prévue dans le sud du pays ne peut être mise en place qu’avec l’accord des Etats-Unis et de la Jordanie. Sur ce point, Tillerson a indiqué que Trump et Poutine avaient eu une « longue discussion au sujet des autres zones en Syrie où nous pouvons continuer à travailler ensemble pour procéder à une désescalade de la violence ».
Missiles Fatah 110 au défilé militaire iranien de 2012 (photo Wikipedia)
Les relations actuelles froides entre Moscou et Washington et l’intention d’expulser des diplomates de part et d’autre compliquent bien entendu l’entente entre Trump et Poutine concernant la Syrie.
Il est clair, qu’Israël est favorable à la stabilité de la région, mais il accueille cet accord avec des sentiments mitigés pour plusieurs raisons.
Le Premier ministre Nétanyahou a publiquement exprimé sa préoccupation principalement parce que cette trêve a tacitement accordé une légitimité à la présence prolongée de forces iraniennes et du Hezbollah dans toutes les régions syriennes contrôlées par le régime d’Assad.
Les préoccupations israéliennes se renforcent car les Américains viennent de décider de restreindre aussi l’assistance des États-Unis aux groupes d’opposition soutenus par la CIA. En outre, Israël est alarmé par des rapports récents sur les négociations entre la Russie et les États-Unis qui permettent pratiquement à Assad de rester au pouvoir et qui garantissent une division favorable du territoire entre Assad et ses partisans et les forces qui coopèrent avec les États-Unis.
Les préoccupations israéliennes sont réelles et concernent les efforts continus de l’Iran et de son satellite, le Hezbollah, pour transformer la partie nord du plateau du Golan en tremplin afin d’y lancer des opérations terroristes contre Israël. Depuis 2011, et durant toute la guerre civile en Syrie, Israël avait réussi à prévenir et contrer toute attaque contre son territoire. Il semblait que les Iraniens avaient bien compris le message, et étaient dissuadés de ne pas ouvrir un nouveau front. Ils étaient assez prudents dans leur tentative d’alimenter l’escalade.
Cependant, la présence militaire de l’Iran en Syrie permet l’accélération de la livraison d’armement au Hezbollah libanais, et notamment d’armes modernes et de missiles sophistiqués.
Rappelons que le Hezbollah possède un arsenal de missiles iraniens de toutes les catégories, notamment des Fatah 110, des missiles terre-mer produits aussi par la Chine et la Russie, dont des C-704, C-802, des missiles de croisière Yakhount ayant une portée de 600 km. Il dispose aussi de systèmes de défense aérienne SA-22 et d’une grande variété de missiles anti-aérien et antichar, ainsi que des drones et des minis sous-marins du type Ghadir.
Jusqu’à présent, Israël avait réagi sans contrainte contre les convois d’armes sur le territoire syrien. Récemment, le Premier ministre Nétanyahou a même avoué qu’Israël avait effectué « des dizaines de raids », justement pour contrer l’acheminement de cet armement au Hezbollah.
Avec ce nouvel accord, Téhéran réussit à solidifier sa présence en Syrie et surtout, à établir un corridor terrestre. « L’étendard chiite » pourrait ainsi s’étendre de l’Iran au Liban, en passant par l’Irak et la Syrie. Désormais, les Ayatollahs pourront livrer tout arsenal militaire sans risque majeur et avec plus de sécurité.
Dans l’intervalle, et en raison des contraintes israéliennes en cours, les Iraniens se sont déjà engagés à construire des usines de production d’armes sur le sol libanais et probablement aussi en Syrie. Cela facilitera l’approvisionnement du Hezbollah en armes sophistiquées. Il suivra ainsi le même procédé existant, dans une certaine mesure, avec le Hamas à Gaza.
Mais au-delà de ces préoccupations bien connues, la présence iranienne en Syrie devrait inquiéter Israël pour d’autres raisons dangereuses.
L’Iran s’apprête à construire en Syrie une base navale, et pourra ainsi déployer des forces terrestres, des missiles et peut-être même des avions de combat, afin de menacer aux portes d’Israël. Jusqu’à ce jour, la menace était omniprésente à 1300 km de notre frontière. Ce changement dramatique de la nature de la menace à laquelle Israël est confronté dévoile que notre voisin du nord ne serait plus la Syrie, mais l’Iran, qui agira dorénavant par le tremplin syrien en toute impunité.
Un bastion iranien en Syrie affaiblira considérablement les éléments pragmatiques dans le monde arabe sunnite. Il mettra en danger le Royaume hachémite, et aura des conséquences géostratégiques graves pour toute la région et en particulier pour Israël et les Arabes sunnites.
Pis encore, la présence permanente iranienne en Syrie, ainsi que la dépendance accrue d’Assad aux Ayatollahs pour sauvegarder son régime et ses fidèles alaouites, encouragera Téhéran à progresser dans son programme nucléaire sur le sol syrien.
Soulignons que dans le cadre de l’accord signé à Vienne le 14 juillet 2014, l’AIEA (l’Agence internationale de l’Energie atomique) peut surveiller les activités nucléaires en Iran, mais n’a pas pouvoir ni mandat pour surveiller l’activité iranienne à l’étranger ou suivre des scientifiques iraniens. L’Iran peut utiliser ces échappatoires pour mener des recherches au développement de matériel nucléaire en Syrie.
Pour rappel, il y a juste une décennie, la Syrie avait presque achevé une installation nucléaire secrète à Deir Ez-Zor en collaboration avec des aides iranienne et nord-coréenne. Cette installation atomique fut détruite en septembre 2007.
Yossi Kuperwasser
Pour citer cet article :
Yossi Kuperwasser, « L’accord russo-américain sur la Syrie et les préoccupations israéliennes », Le CAPE de Jérusalem, publié le 3 août 2017 : http://jcpa-lecape.org/accord-russo-americain-sur-la-syrie-et-les-preoccupations-israeliennes/
Illustration de couverture : poster iranien représentant le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah (à gauche), le président iranien Hassan Houhani et son homologue syrien Bachar al-Assad (au centre), et le président russe Vladimir Poutine (à droite). Photo ABNA News – Iran.