La Raison d’Etat face au fléau de l’antisémitisme

Freddy Eytan

La conférence internationale consacrée à la lutte contre l’antisémitisme qui vient de s‘achever à Jérusalem a provoqué un tollé général et une forte indignation de la présence des responsables politiques de partis d’extrême droite européens dont Jordan Bardella (président du Rassemblement national en France) et Marion Maréchal, petite-fille de Jean-Marie Le Pen, qui fut un antisémite notoire, fondateur du premier parti néonazi européen après la Deuxième Guerre mondiale.

Nous pouvons parfaitement comprendre l’indignation de certaines organisations juives européennes et américaines, ainsi que les critiques et les réactions négatives et prévisibles au sein de la presse israélienne et internationale.

Dans ce contexte, comment donc lutter contre l’antisémitisme quand le fléau existe aujourd’hui surtout dans les rangs de l’extrême gauche. Depuis le massacre du 7 octobre 2023, l’Etat juif est accusé « d’épuration ethnique et de colonisation de territoires palestiniens ». Israël ne peut tout seul dénoncer la supercherie et les mensonges ? Comment acquérir des amis ? Le soutien à la cause légitime de l’Etat juif dans le combat contre les islamistes qui propagent dans les réseaux sociaux et ailleurs des messages purement antisémites ?

Depuis sa création, l’Etat d’Israël cherche une meilleure compréhension à ses problèmes existentiels et à nouer des alliances avec des partis européens de tous bords. Durant les gouvernements travaillistes, il existait des points idéologiques communs et une connivence dans le cadre de l’International socialiste. Depuis 1977, tous les gouvernements dirigés par le Likoud, de Begin à Netanyahou, étaient réticents à l’égard des partis d’extrême droite. Ils n’ont pas réussi à créer des alliances solides et ils se sont contenter de rapports cordiaux avec leurs homologues de droite dans un cadre uniquement parlementaire.

Conférence internationale sur la lutte contre l'antisémitisme « Ambassadeurs de la vérité »

Conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme « Ambassadeurs de la vérité » (eclipse media/Amichai Chikli/Facebook)

Aujourd’hui, à gauche et à droite, les extrêmes dominent et deviennent incontournables dans les rapports internationaux. Les dirigeants des partis d’extrême gauche qui se défendent toujours d’être antisémites demeurent plus que jamais anti-Israéliens. D’ailleurs, la haine du sionisme est le seul point commun qui existe entre des communistes non-croyants et des Islamistes du Hamas, affiliées à la confrérie des Frères musulmans. Leur hypocrisie gagne des points dans l’opinion publique et dans les campus universitaires et cette politique est devenue une bonne rente électorale.

Comment les institutions juives et la presse internationale auraient réagi si le gouvernement israélien de droite avait invité des représentants des partis communistes, des écologiques ou des mouvements féministes à ce colloque ? N’auraient-elles pas applaudi ?

Jordan Bardella

Jordan Bardella (Photo: Thomas Bresson/CC BY 4.0)

Le combat contre l’antisémitisme est au-delà des partis et ne doit pas agir selon des critères de récupération politique. Ils concernent profondément tous les pays démocratiques.

Certes, le double jeu existe également au sein de l’extrême droite. C’est classique, on soutiendra les Israéliens parce qu’ils combattent le « même ennemi islamiste » et ainsi on argumentera plus facilement l’agenda sur le danger de l’immigration.

Bien entendu, nous rejetons cette idéologie extrême en rappelant toujours que le peuple israélien est composé d’immigrants venus du monde entier.

Cependant, le 7 octobre 2023 a changé complètement la donne géopolitique. Ses retombées concernent également la diplomatie publique. Elle est le seul outil pour pouvoir mieux comprendre tous les enjeux stratégiques et médiatiques. De ce fait, il est très important d’inviter en Israël tous les partis composant l’échiquier politique international. Ses représentants, de gauche comme de droite, devraient voir de leurs propres yeux la réalité sur le terrain et ne pas juger l’Etat juif à distance et en ignorance des faits.

Certes, nous ne sommes ni naïfs ni dupes, mais nous refusons toute sorte de boycottage. Chaque parti politique élu au suffrage universel est légitime à l’ouverture d’un dialogue franc et sincère.

Dans l’histoire d’Israël, soulignons que la Raison d’Etat prévaut parfois sur des considérations moralistes :

  • Le premier dilemme concernait évidemment la normalisation avec l’Allemagne juste après la guerre. Etait-il possible de se réconcilier avec des collaborateurs d’Hitler ?
  • Le second s’interrogeait sur les relations diplomatiques et commerciales avec l’Afrique du Sud qui appliquait des discriminations abjectes, l’Apartheid.
  • Le troisième dilemme concerne le refus de reconnaître le génocide arménien pour préserver les relations avec la Turquie, le premier Etat islamique qui avait reconnu l’existence de l’Etat d’Israël ?

Tous ces exemples et d’autres expriment la complexité et les contraintes, le grand dilemme des gouvernements israéliens.

Malgré toutes les erreurs commises dans la préparation de la cette conférence internationale sur l’antisémitisme, et en dépit des critiques justifiées, ce colloque important tenu à Jérusalem est sans doute un tournant historique dans la politique israélienne. Espérons qu’il a eu un écho favorable chez tous les participants.

Quant à Jordan Bardella, lui-même issue d’une famille d’immigrants, il devra passer aux actes et ne pas se contenter de slogans creux et de promesses vagues. Il devra affirmer clairement et officiellement :

  • La France de Vichy est responsable de la déportation des Juifs.
  • L’holocauste des juifs n’était pas un « détail de la guerre. »
  • L’étude de la Shoah dans toutes les écoles françaises est indispensable.
  • La lutte sans relâche contre le fléau de l’antisémitisme est prioritaire. Tous les auteurs, sans exception, seront traduits en justice.
  • Nous soutenons le combat d’Israël contre les terroristes islamistes.

C’est après la mise en œuvre de ces actes que nous pourrions savoir si Jordan Bardella a vraiment tourné la lourde page historique du Front national et pourra poursuivre le dialogue avec le gouvernement israélien.

Ainsi, il redonnera confiance aux juifs de France et leur permettra- s’ils le souhaitent- de voter pour son propre parti. Cette fois-ci, avec conviction et sans aucun regret.