La fermeture de Galei Tsahal et la liberté de la presse

Freddy Eytan

La décision du ministre de la Défense, Israël Katz, de fermer la station de la radio militaire, Galei Tsahal, a provoqué un tollé général accusant le gouvernement Netanyahou de chasse aux sorcières contre certains journalistes et d’atteindre à la liberté de la presse. Certes, Israël est le seul pays démocratique où existe une radio militaire mais aussi l’un des rares Etats de la planète qui affronte depuis sa renaissance une guerre permanente contre ses ennemis.

Face à ce phénomène unique, la société civile demeure harmonieuse car ses origines sont universelles et proviennent du monde entier, de plus de soixante-dix pays. De ce fait, la démocratie est vivace malgré les profondes divergences politiques et en dépit de l’état de guerre. Les protestations massives, la liberté totale de circulation et d’expression prouvent en effet que le régime démocratique a demeuré jusqu’à ce jour, solide et stable.

Dans ce contexte libéral et même absurde, la radio militaire, Galei Tsahal, est généralement dirigé par un journaliste nommé par le ministre de la Défense. Cette station diffuse bizarrement des spots publicitaires et commerciaux et seul en Israël, on peut voir un jeune journaliste en uniforme de Tsahal, poser des questions ou donner sa propre opinion sur la conduite d’un ministre, d’une campagne électorale ou critiquer un officier supérieur sur une opération dont il avait la charge.

Winston Churchill disait que « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé ». Nous pouvons ajouter qu’Israël est un exemple unique de ce genre où la démocratie agit parfois sans limites, surtout dans le contexte de guerre dont nous vivons.

Israel Katz
Le ministre de la Défense Israël Katz en réunion avec le chef d’état-major Eyal Zamir. (Israel Katz/X)

J’ai fait mes premiers pas dans le journalisme à Galei Tsahal. A cette époque, il existait une séparation nette entre la nouvelle et le commentaire. La majorité écrasante des experts dans les divers domaines étaient des journalistes chevronnés de la presse écrite et parlée. Ils étaient conscients des contraintes et diffusaient dans un cadre strictement militaire.

Au départ, dans les années 1950, Galei Tsahal avait pour objectif de servir comme moyen de liaison avec les conscrits et les réservistes, de diffuser des émissions éducatives, des chansons populaires, classiques, des hit-parades, et aussi enseigner l’hébreu aux nouveaux immigrants. Durant les conflits armés, Galei Tsahal diffusait en tandem avec Kol Israël (la voix d’Israël). Elles annonçaient ensemble la mobilisation des unités de réserve de Tsahal.

Aujourd’hui, avec la multiplication des radios, chaînes de télévision et réseaux sociaux, une station militaire dans un pays démocratique n’a aucune raison d’exister si des journalistes en uniforme traitent des sujets qui concernent des affaires politiques controversées.

Galei Tsahal
Le siège de Galei Tsahal à Tel-Aviv-Yafo. (Google Earth/Capture d’écran)

Il est regrettable que toutes les tentatives d’éviter la politisation et même de fermer cette station notamment par l’état-major lui-même furent vouées à l’échec. Les nombreux journalistes de la presse écrite mais surtout ceux travaillant au sein des chaines de radio et les stars de la télévision ont fait leurs premières armes à Galei Tsahal. Ils forment un puissant lobby que les hommes politiques et notamment les généraux ne souhaitent pas affronter. Cela explique pourquoi on n’osait pas les toucher.

Durant plusieurs décennies, Galei Tsahal était en effet réservée à un cercle fermé et privilégié de journalistes dont les opinions étaient plutôt à gauche de l’échiquier politique ; ce n’est que ces dernières années que la station militaire a ouvert ses studios à toutes les opinions et à toutes les couches de la société israélienne, laïques et religieuses, ashkénazes et séfarades.

Toutefois, la nomination de certains activistes et militants proches du Premier ministre Netanyahou tel que Yaacov Berdugo a transformé rapidement Galei Tsahal en une plateforme de propagande, à des débats politiques virulents et des querelles inutiles bafouant ainsi la vocation de la station militaire et en aggravant la politisation au sein de Tsahal.

Galei Tsahal est animée et gérée surtout par des conscrits fidèles au service militaire obligatoire et à des règles telles appliquées dans une base de Tsahal. Les correspondants militaires ou civils ont le devoir de se soumettre à l’éthique et à la déontologie. Leurs informations sont généralement considérées comme crédibles et souvent sont citées et reprises par les agences internationales. De ce fait, c’est l’image de Tsahal et sa crédibilité qui sont mise en jeu.

Le ministre de la Défense Israel Katz a raison d’agir contre la politisation de l’armée et ses services mais a eu tort d’agir en démagogue et pour des motifs purement politiques. Il a créé des remous inutiles au moment où le ministre de la Communication du gouvernement actuel, Shlomo Karhi, envisage des réformes extravagantes qui risqueraient d’atteindre à la liberté de la presse.

Le journalisme est un vrai métier et donc un activiste fort engagé pour une cause ou à une personnalité politique ne peut couvrir honnêtement un sujet ou une affaire. La liberté d’expression, le doute et la critique doivent dominer. Les interrogations sont une raison d’être pour cette noble profession.

Galei Tsahal représente un symbole sacré, une radio populaire à l’image de Tsahal, celle de l’armée du peuple. Dans un pays toujours en guerre, il est nécessaire de sauvegarder cette station tout en envisageant des réformes rédactionnelles et diffuser des informations brutes sans commentaires politiques. Il est aussi utile de poursuivre les émissions de qualité à caractère militaire et stratégiques et à préserver les activités de la station musicale, Gal-Galatz, et son rôle pour le moral des troupes et sa sensibilisation à la sécurité routière.

La société israélienne traverse une crise d’identité et se recherche. Elle est assez meurtrie par tous les événements majeurs intervenus surtout depuis le terrible massacre du 7 octobre 2023.

A la veille d’élections législatives revenons à la raison et n’ajoutons pas à nos graves problèmes des décisions partisanes pour des raisons personnelles et électorales.