Bras de fer dangereux entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire
Trois jours après le limogeage du chef du Shin Beit, Ronen Bar, le cabinet israélien vote une motion de défiance contre sa conseillère judiciaire, Gali Baharav-Miara. Saisie par des requêtes, la Haute Cour de justice décide de geler les licenciements pour étudier minutieusement ce dossier inédit dans les annales. Pour l’heure, nous ignorons la marche à suivre et comment le gouvernement réagira si la Cour suprême décidera de maintenir à leur poste ces deux hauts-fonctionnaires.
Le bras de fer entre le pouvoir exécutif et le pouvoir juridique monte soudain de plusieurs crans. Il provoque un tollé général et des manifestations quotidiennes monstres dans les rues de Tel-Aviv et Jérusalem. Une situation explosive qui risque de déclencher des affrontements violents sur la place publique et affaiblir la résilience israélienne en temps de guerre.
Depuis plusieurs décennies, la société israélienne est tragiquement divisée, déchirée entre la droite et la gauche, mais cette fois-ci, tous les secteurs sont touchés par ce clivage : Tsahal, la police, le Shin Beit et le Mossad ne sont pas épargnés. Ces institutions sont les symboles de la cohésion nationale et doivent pourtant être tenues à l’écart du discours politique.

Benyamin Netanyahou, Ronen Bar (Kobi Gideon/GPO)
Déjà en janvier 2023, la réforme judiciaire avait provoqué des vagues de manifestations populaires. Elles étaient justifiées car on avait touché pour la première fois au sacro-saint de la nation juive qui a offert à l’Humanité les Tables de la Loi. On a osé douter de la bonne foi des juges de Jérusalem, on a profondément vexé tous ceux assis confortablement à la Cour suprême. Cette réforme a piqué au vif des juges honorables, respectés dans le monde entier. Fort heureusement, elle fut gelée.
Cette réforme s’était transformée rapidement en un débat universel qui prouve d’ailleurs qu’en dehors du conflit israélo-arabe, la démocratie israélienne demeure vivace et un sujet de réflexion, un atout considérable pour le monde libre.

Gali Baharav-Miara (Ministère de la Justice d’Israël)
La polémique est légitime mais elle doit se faire dans le respect et par le dialogue et non par la force du diktat. Il est toujours préférable de trouver des solutions sur les défaillances pour y remédier. Sur ce point, il est dangereux que toutes les parties préfèrent brandir l’étendard révolutionnaire. Tous veulent avoir raison mais refusent obstinément de respecter l’adversaire et de faire des compromis. La passion l’emporte sur la raison.
Depuis le 7 octobre 2023, Tsahal se bat sur plusieurs fronts et ses succès militaires contre les Islamistes du Hamas ou du Hezbollah sont le résultat d’un excellent service de renseignement. Certes, le chef du Shin Beit est responsable des graves défaillances, il aurait dû démissionner au lendemain du terrible massacre, mais la chasse aux sorcières des politiciens et des proches du gouvernement à son égard est inadmissible et révoltante. Comment gommer un passé glorieux et sans failles durant plusieurs décennies au service de l’Etat.
Soulignons que le Shin Beit est chargé de plusieurs missions qui concernent la sécurité d’Israël. Ses services doivent collecter des informations sur les actions subversives, contrecarrer les sabotages, recueillir des renseignements sur les arabes israéliens et déjouer les activités d’espionnage pour le solde des pays arabo-musulmans dont l’Iran. Le Shin Beit est aussi responsable de la sécurité personnelle du président de l’Etat, du Premier ministre et de la sécurité des ambassades israéliennes à travers le monde. Contrairement aux services étrangers, il contrôle également avec Tsahal la sécurité dans des zones palestiniennes, et il déjoue chaque jour des attentats terroristes.
Sur l’emblème du Shin Beit est inscrite la devise : « Magen velo Yerahé ». Elle comporte une double signification : Protecteur, bouclier, sans peur et sans reproche, mais aussi invisible. Agissant courageusement dans le secret dans des zones dangereuses et interdites.
Le Shin Beit a été fondé le 9 mars 1949. Depuis le premier gouvernement David Ben Gourion, il est sous la tutelle du Premier ministre. Il s’agit d’une fonction de confiance totale sur des dossiers les plus sensibles de l’Etat. Malgré des divergences existantes parfois avec le chef du gouvernement, le patron du Shin Beit exécute généralement, sans souffler mot. Dans les années 1950, le chef du Shin Beit de l’époque, Isar Harel, quitta son poste en claquant la porte.
Israël est une démocratie parlementaire fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs. Ainsi, le cabinet ministériel devant bénéficier de la confiance de la Knesset tout en respectant l’indépendance de la Justice, des tribunaux, et du procureur général garant des lois. Certes, le procureur est désigné par le gouvernement, comme le président de l’État est désigné par la Knesset, mais le procureur général agit en toute indépendance du système politique.
De ce fait, la procédure de forcer le limogeage de la procureure générale actuelle est un acte purement politique et contraire au principe fondamentale de la séparation des pouvoirs.
En revanche, une révolte civique prolongée risque d’ébranler fortement les piliers de la démocratie israélienne au moment même où la nation est déchirée et nos soldats combattent sur plusieurs fronts. N’oublions jamais que nos ennemis nous observent à la loupe. Aujourd’hui, plus que jamais, ils se frottent les mains et se réjouissent de voir comment le cancer politique ronge l’Etat juif…