Manifestations, médias et manipulation politique

Freddy Eytan

Voilà plusieurs semaines que des manifestations se déroulent dans le pays réclamant la démission du Premier ministre Nétanyahou. Apparemment une protestation politique légitime dans un pays démocratique. En ce mois de vacances et de chaleur accablante, les manifestants ont transformé leurs protestations en happening familial, une sorte de kermesse nocturne rafraichissante avec des réjouissances en plein air et un esprit bon enfant.

Cependant, ces protestations se déroulent à Jérusalem, à Tel-Aviv et à Césarée à une centaine de jours seulement après la formation d’un gouvernement d’union et après que la majorité écrasante des Israéliens ont rendu leur verdict aux urnes, en acceptant de facto et de jure le tandem Bibi-Benny pour diriger le pays. Plus encore, Nétanyahou est déjà mis en examen et donc le « jugement » ne devrait avoir lieu qu’au tribunal et non sur la place publique.

Scander face à sa résidence : « Allons-y citoyens, allons démolir la bastille » ou « Nétanyahou est bon pour la guillotine » accompagnés de slogans creux, scandaleux, vulgaires et ignobles contre le Premier ministre et son épouse risquent des dérapages violents et prouvent également ignorance de l’Histoire de France.         

Certes, une partie des manifestants ont bien raison de gronder leur colère contre la situation économique mais la crise du Coronavirus est planétaire et ne concerne pas seulement l’Etat Juif. Critiquer le gouvernement pour la gestion des affaires est sans doute légitime mais s’attaquer directement à Nétanyahou et à sa famille dans les rues et dans la presse manque de spontanéité et de crédibilité. Il ne s’agit plus de protestation sincère contre la vie chère mais d’une féroce et vilaine haine contre les Nétanyahou orchestrée par certains hommes politiques et journalistes frustrés. Une véritable obsession qui accapare leurs esprits. 

Dans ce contexte, comment les sympathisants de Netanyahou et lui- même devraient réagir ? Adopter le même style vulgaire ? La provocation devient réciproque et dangereuse. Au lendemain des protestations qui réclamaient sa démission, le Premier ministre déclarait devant les journalistes : « je condamne le caractère unilatéral de la plupart des médias. Ils ne rendent pas compte des manifestations; ils y participent. Ils les attisent. Ce n’est pas seulement des médias mobilisés; ce sont des médias mobilisateurs. »

Nétanyahou a même osé comparer les médias israéliens aux journaux de propagande soviétiques et nord-coréens. Des propos choquants et graves provoquant un tollé général dans la presse et au sein de la classe politique. Comment ose-t-il ? 

Bien entendu, la presse a le devoir de rapporter les événements mais elle doit aussi respecter les règles et toujours rapporter des informations crédibles et à leur juste proportion.  

Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu

(U.S. Embassy Jerusalem CC BY 2.0)

Certes, dans un pays démocratique, la critique est légitime et la presse a le droit de publier des articles, des images et des caricatures comiques ou satiriques en accentuant des traits déplaisants ou même ridicules. Toutefois, certains médias israéliens ont non seulement déformé la réalité par exagération mais leurs articles et reportages sont généralement partiaux et de très mauvais goût.

Ils se comportent souvent comme des inquisiteurs, ils informent, jugent, et condamnent à la fois.  Est-ce le rôle de la presse ? N’est-il pas réservé à la justice ? Aux juges ? Aux tribunaux ? Les journalistes sont-ils hors la loi ?  Plus puissants que les instances judiciaires ?

Les correspondants n’assument plus leurs nobles responsabilités. Généralement, ils ne distinguent plus entre l’important et l’insignifiant, l’essentiel et la futilité, et les événements qu’ils publient ou diffusent sont de priorité secondaire et médiocres.

Les correspondants politiques ont le devoir de rapporter sans aucun scrupule les activités du Premier ministre, d’analyser ou de critiquer sa conduite dans les affaires de l’Etat. Dans un pays qui est en guerre permanente, ils doivent aussi analyser les enjeux du conflit avec les Palestiniens, les Syriens et les Iraniens, ou enquêter sur des problèmes nationaux urgents et dévoiler des scandales publics.

Ces dernières années, on assiste à une disproportion flagrante et grotesque dans le jugement rédactionnel. On néglige l’importance de chaque mot, de chaque parole exprimant une pensée, une opinion ou une idée, d’une façon concise et frappante.

Sur la famille Nétanyahou, la presse israélienne a utilisé quotidiennement, des dizaines de pages et des textes inutiles de millions de caractères. En toile de fond, on observe une compétition acharnée entre les journaux nationaux et entre les quatre chaînes de télévision. Ces reportages et articles sont repris par la presse étrangère et font toujours les manchettes pour surtout mettre au pilori la politique de droite du Premier ministre et le ridiculiser.

Au-delà des affaires qui concernent la famille Nétanyahou, la bataille entre les organes de presse est aussi rude et implacable sur plusieurs plans car de puissants intérêts financiers sont en jeu. Les petites histoires insignifiantes se conjuguent avec la haute politique et les affaires commerciales. Les magnats de la presse sont liés au pouvoir et influent sur la finance et certains journalistes profitent de la connivence.

Triste résultat : des articles et des reportages sont parfois tronqués, gonflés ou censurés selon le désir de l’un ou de l’autre.

Dans ce contexte malheureux, il est temps de remettre de l’ordre, et de suivre à la lettre les principes fondamentaux de la presse, ceux de la crédibilité, du sérieux, de l’éthique et de la déontologie.

Bien entendu, il ne s’agit pas de museler ou de censurer les journalistes, ni de bafouer la liberté de la presse, loin de là. Simplement, nous devons régler les relations Presse-Pouvoir, et redonner au journaliste la place honorable dans la société comme ce fut jadis et naguère.

Enfin, une note personnelle. Voilà plus de 50 ans que je vis dans le monde des médias. Durant toute cette longue carrière je n’ai jamais milité ou appartenu à un parti politique. Toutes mes nominations et mes titres professionnels au service de l’Etat ne furent jamais obtenus par des décisions à caractère politique.  

J’ai eu le privilège d’être correspondant et rédacteur en chef de la presse écrite et parlée israélienne et étrangère. J’ai enseigné le journalisme et les sciences de l’Information dans les universités et écrit de nombreux ouvrages, études, et milliers d’articles. Au fil des ans, j’ai connu à la fois de brillants et médiocres journalistes mais presque tous exerçaient le métier sans jamais exprimer une conviction politique précise. Ils n’utilisaient jamais un vocabulaire virulent, grossier et abject. Tout en critiquant sérieusement l’homme politique, ils respectaient scrupuleusement la fonction publique, ne prenaient jamais partie, et ne mêlaient jamais la famille et les affaires confidentielles et privées.

Ce journalisme hélas n’existe plus. Des avocats, blogueurs et intellectuels, des conseillers et stratèges en communication, des militants de droite comme de gauche banalisent le métier et diffusent souvent de la propagande ou de fausses nouvelles. Ils transforment le débat en un dialogue de sourds, en une cacophonie désagréable.

Ils ne peuvent remplacer les professionnels. Leur place est dans les tribunes libres non dans les rédactions des journaux.

Pour devenir un véritable journaliste il est bien temps de se munir d’un diplôme et d’un permis tel un juriste ou un médecin.