Les habits neufs de l’antisémitisme en Europe

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DE LA SIGNIFICATION DU MOT « ANTISEMITISME »
DANS L’AGE POST-MODERNE

Shmuel Trigano

Un des phénomènes les plus irritants et les plus étonnants de la vague antisémite du début des années 2000 est bien la contestation du terme même d’«antisémitisme» pour la définir. Dès les révélations des agressions antisémites en Europe de l’Ouest en 2001, une controverse a fait rage, contestant la nature “antisémite” des événements, voire même leur factualité. Quand on reconnaissait qu’il y avait effectivement agression contre les Juifs, on estimait qu’elles n’étaient pas antisémites !

Cela donna le discours ubuesque d’un procureur de la République de Montpellier jugeant que la tentative d’incendie de la synagogue de la ville n ‘était pas « un acte antisémite mais l’acte de jeunes découvrés ». Comment s ‘en étonner ? Les médias, les pouvoirs publics, voire même les institutions juives avaient gardé un silence hermétique à leur propos.

L’incrédulité opposée par l’opinion à cette révélation était somme toute naturelle puisque « le journal » n’en avait pas parlé ! Par contre, cette incrédulité suggérait que la réalité n’était pas ce que les Juifs, victimes supposées, disaient, quoique ce qu’ils disaient, ils le disaient de faits réels, il n’y a plus en effet aujourd’hui aucun doute sur ces faits, même si des secteurs importants d’opinion croient encore qu’ils ne relèvent pas de l’antisémitisme.

Cette contestation de l‘interprétation et de la dénomination de la réalité est typique de l’idéologie postmoderne. Dans sa perspective, la réalité n’est pas plus épaisse que ce qu’en disent les acteurs, les faits supportant de multiples interprétations qui, toutes, sont tenues pour réelles et pour constituer la réalité dont le statut objectif vacille par conséquent.

Des agressions contre les Juifs pouvaient ainsi se produire sans relever de l’antisémitisme. Tel est le phénomène clef du nouvel antisémitisme. Même si les Juifs prétendaient qu’il y avait antisémitisme, c’était leur récit et il était relatif à leurs parti-pris et à leurs intérêts. Mais ce qu’ils disaient de la réalité n’était pas nécessairement la réalité. Et puis, leurs agresseurs clamaient qu’ils n’étaient pas antisémites, puisqu’ils étaient sémites eux-mêmes, tandis que leurs détracteurs se proclamaient antiracistes et très soucieux du devoir de mémoire…