L’effondrement de l’Etat libanais au profit du Hezbollah

Shimon Shapira

Le 15 mars 2021, Le député libanais Mohammad Raad, chef du groupe parlementaire du Hezbollah, a été reçu à Moscou par le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Ce dernier s’était auparavant entretenu à Abou Dhabi avec Saad Hariri, Premier ministre libanais.

La délégation du Hezbollah a également rencontré à Moscou le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, le représentant du président Poutine au Moyen-Orient, le conseiller à la sécurité nationale, et des membres de la Douma, le parlement russe.

La Russie cherche à trouver une solution à la profonde crise politique au Liban, qui empêche la formation d’un gouvernement permanent et stable dans le pays du Cèdre. Cette crise menace le système gouvernemental sectaire libanais qui existe depuis 1943.

En arrière-plan, l’économie libanaise s’effondre. La Banque centrale, qui a perdu sa capacité à stabiliser le taux de change de la monnaie locale, a déjà franchi le taux de 15 000 livres libanaises pour un dollar américain, perdant 90% de sa valeur depuis octobre 2019. Les conditions de vie dévastatrices au Liban ont déjà conduit à des manifestations monstres dans les rues de Beyrouth menaçant la stabilité de l’Etat libanais.

Raad, Lavrov

(Bureau de presse du ministère russe des Affaires étrangères)

Dans le même temps, le Hezbollah gère un système gouvernemental alternatif distinct du gouvernement central de Beyrouth.

Il comprend :

  • Un système économique indépendant, comprenant des succursales bancaires du Hezbollah dotées de distributeurs automatiques.
  • Un système de santé qui apporte une solution partielle à l’incapacité de l’État à faire face à la pandémie du Covid 19.
  • Un système éducatif indépendant, qui comprend des jardins d’enfants, des écoles élémentaires et secondaires.
  • Un réseau de formation de 32 hawzat (séminaires d’études religieuses) et des institutions de charité à travers tout le pays.

Le financement de ce système global est estimé à 1 milliard de dollars par an, et les fonds continuent de provenir des Ayatollahs iraniens malgré les sanctions économiques imposées. Le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a lui-même confirmé cette aide significative par de simples paroles : « tant que l’Iran a de l’argent, nous aurons de l’argent… Tant que nous recevons des roquettes que nous utilisons pour menacer Israël, nous aurons de l’argent ».

L’Iran soutient le Hezbollah chiite au Liban dans le cadre de sa politique à l’égard de la communauté chiite dans les pays de notre région. Une grande partie de la communauté est fidèle au principe théologique de Velâyat-e Faqih, considérant le guide suprême iranien, Ali Khamenei, comme leur tuteur politique et religieux, et Hassan Nasrallah comme son représentant au Liban.

Hizbullah

(Presse arabe)

Depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie il y a juste dix ans, l’Iran a accru son implication dans les affaires du Hezbollah. Hassan Nasrallah a été contraint de se conformer aux ordres du commandant de la Force iranienne al-Qods, le général Qasem Soleimani, et d’envoyer plus de 8 000 combattants combattre les rebelles en Syrie. Plus de 2 000 combattants du Hezbollah ont été tués et plus de 4000 blessés dans les combats. Quand le commandant des forces du Hezbollah en Syrie, Mustafa Badreddine, a exprimé des réserves sur la participation du Hezbollah à la guerre des Syriens, il fut éliminé par Qasem Soleimani avec le consentement de Hassan Nasrallah.

Hassan Nasrallah est conscient de sa responsabilité que l’Iran lui confère au Liban. L’effondrement du gouvernement central à Beyrouth, ainsi que le dysfonctionnement des systèmes économiques, ont transformé le Liban d’un État en faillite à un État du Hezbollah, où le système alternatif du Hezbollah est entièrement soutenu par l’Iran.

Le Hezbollah s’abstient de prendre officiellement le contrôle de la structure gouvernementale, et Hassan Nasrallah comprend l’importance considérable de la prise du pouvoir au palais présidentiel libanais à Baabda. À ce stade, l’Iran a des objectifs géostratégiques qui l’empêchent de réaliser la vision de transformer le Liban en une république islamique comme l’ayatollah Khomeiny l’a commandé. L’objectif immédiat de l’Iran est de profiter de la fenêtre d’opportunité ouverte par le gouvernement Biden et de revenir à l’accord nucléaire aux conditions de Téhéran.

Cependant, les processus internes au Liban semblent progresser à un rythme plus rapide que l’Iran et le Hezbollah ne le souhaitent guère. Dans cette situation, un scénario extrême peut survenir dans lequel l’État libanais tombera comme un fruit mûr entre les mains du Hezbollah, et l’Iran réalisera sa vision de conquérir le Liban.

Nasrallah

Le scénario présente certaines options stratégiques :

  • Des navires de guerre iraniens jetteront l’ancre dans le port de Beyrouth. Profitant du contrôle de l’aéroport international de Beyrouth par le Hezbollah, les Iraniens l’utiliseront comme aérodrome militaire avec celui de Baalbek.
  • La Force el-Qods des Gardiens de la Révolution s’installera dans les régions libanaises de Baalbek et de Beqaa, qui servira de parapluie aux milices chiites afghanes, pakistanaises, irakiennes et yéménites, qui entreront depuis la Syrie. Ces forces avaient auparavant été invitées par Nasrallah à participer à la prochaine guerre contre Israël.
  • Le Hezbollah menacera que toute attaque contre les forces iraniennes et les milices chiites installées au Liban entraînera des représailles de missiles qui pourront atteindre tout le territoire israélien du Nord au Sud.
  • Le Hezbollah, avec le soutien de l’Iran, augmentera la production d’ogives de précision pour des missiles à longue et moyenne portée.

Ce scénario est extrême mais étant donné la détérioration continue de la situation au Liban, il peut être réalisé tôt ou tard.

Il modifiera considérablement l’équilibre régional des forces en présence et menacera directement Israël.