Le règne de Daesh au Moyen-Orient

Daesh est un Etat islamique terroriste qui règne aujourd’hui sur un territoire plus grand que le Royaume-Uni et sur une population de 10 millions d’habitants.

Depuis l’invasion américaine en Irak en 2003, des milliers d’officiers sunnites, et avec eux de nombreux détenus évadés de prison, ont juré de venger l’occupation américaine en formant un mouvement terroriste parfaitement structuré, des plus féroces et des plus cruels qu’a connu le Moyen-Orient.

Jamais dans l’histoire moderne du monde musulman des djihadistes ont cherché à participer à l’établissement d’un califat islamique, dans le but de régner sur un territoire après avoir chassé les puissances occidentales et leurs alliés arabes.

L’Etat islamique en Irak et au Levant (Daesh) a fait couler beaucoup d’encre. Au départ, les observateurs étaient perplexes et le qualifiaient d’organisation terroriste à l’instar d’Al-Qaïda. Ils décrivaient ses membres sous les traits de « bandits désorganisés qui se déplacent en camionnettes comme les talibans… vêtus de vieux habits ou d’uniformes noirs, portant barbes, turbans ou cagoules, et qui brandissent un drapeau noir frappé d’inscriptions en arabe ».

Certes, il est vrai qu’au départ Daesh n’était qu’une faction extrémiste marginale, mais elle est devenue au fil des ans la milice la plus puissante et la plus redoutée de la région. Elle possède des moyens financiers et des armes pour lui permettre d’atteindre ses desseins religieux et de mener une guerre ethnique en Syrie et en Irak.

En fait, Daesh est bien plus qu’une simple organisation terroriste. Daesh est un Etat terroriste parfaitement structuré avec tous les pouvoirs que cela comporte. Cet Etat repose sur le sens de l’organisation des anciens militaires du régime de Saddam Hussein et surtout sur le fanatisme religieux de son chef, le calife Abou Bakr al-Baghdadi, qui est entouré d’un Conseil de guerre, de ministres et de gouverneurs administrant chaque territoire conquis.

Depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011, Daesh s’est imposé comme une milice puissante et sanguinaire. A l’été 2014, son chef a proclamé l’établissement d’un califat islamique (Al Dawla al Islamiya) pour mieux signifier que ce califat ne se limiterait pas à l’Irak et à la Syrie, mais visait aussi Israël (Palestine), la Jordanie et le Levant.

Cependant, en observant la carte de ce califat, on constate que ses ambitions sont plus larges encore et vont au-delà des frontières du Proche-Orient : Daesh doit comprendre, à l’Ouest, l’Andalousie (Espagne), tous les pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest (Maghreb et Nigeria inclus). La Libye et l’Egypte, considérées comme une unité géographique (Ard Al-Kinana ) « absorberont » le Cameroun, les Etats du lac Victoria, l’Ethiopie et la Somalie.

Sur cette carte figurent bien évidemment le Hedjaz (l’Arabie saoudite, les Etats du Golfe et le Yémen) mais aussi les républiques musulmanes d’Asie centrale, dont l’Azerbaïdjan, le Pakistan et la partie sud-ouest de la Chine, celle des musulmans d’origine turque, les Ouïghours. Toujours selon cette carte, l’Etat islamique doit comprendre également l’Iran, la Turquie (Anatolie) et certaines parties d’Europe, dont les Balkans. Ainsi le califat devrait-il être plus ou moins conforme aux frontières de l’Empire ottoman avec ses territoires austro-hongrois.

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Daesh veut étendre son califat au-delà du Moyen-Orient

Pour Daesh, le calife est le seul représentant du prophète Mahomet. Lui seul dirige le califat et détient un pouvoir absolu. Le califat est composé de différents Conseils, dont les membres sont tous nommés par le calife :

– Le Conseil de guerre est dirigé par Abou Ahmad al ‘Alawani. Il comprend trois membres dont la tâche est de planifier et de superviser les commandements militaires et les opérations sur le terrain.

– Le Conseil de la Choura est dirigé par Abou Al Arkan Ameri. Composé de 9 à 11 membres, sa mission principale est de superviser les affaires de l’Etat.

– L’Autorité judiciaire est dirigée par Abou Mohammad al-Ani. Elle traite de toutes les questions judiciaires et de la diffusion des messages du calife.

– Le Conseil de Sécurité et du renseignement dirigé par Abu Bakr (alias Abou Ali), un ancien général de l’armée de Saddam Hussein, est responsable de la sécurité personnelle du calife. Il est chargé de mettre en œuvre les ordres, les campagnes, les décisions judiciaires, la collecte et la diffusion du renseignement militaire.

– Le Conseil de propagande et de l’Information, dirigé par Abou Al Athir Omrou al Abbassi, a pour porte-parole Abou Ahmad al ‘Alawani.

Après chaque conquête de territoire, la priorité de Daesh est de mener un « nettoyage ethnique » pour éliminer tous les ennemis potentiels et y faire observer une croyance religieuse totale. Daesh met ensuite en œuvre la deuxième phase de sa conquête au pouvoir, celle de l’éducation islamique. Tous les directeurs des écoles et les enseignants ne peuvent commencer leur enseignement sans avoir participé au préalable à un séminaire où on leur précisera clairement tous les interdits.

Il est absolument interdit d’enseigner l’art, la musique, l’éducation civique, la sociologie, l’histoire, le sport, la philosophie, la psychologie et l’éducation religieuse, musulmane ou chrétienne (Les études religieuses sont effectuées exclusivement dans le cadre de la madrasa – école religieuse.). En mathématiques, aucun exemple ne doit être donnée qui pourrait indiquer un certain calcul d’intérêts et, en sciences naturelles, on ne parlera ni de l’évolution de l’Homme ni de Darwin. Il est aussi interdit de parler d’État-nation, de patrie ou de chanter des hymnes nationaux.

Les dirigeants de Daesh ont réussi à effacer toute trace de la civilisation occidentale, notamment chez les milliers de volontaires étrangers et arabes qui ont rejoint leurs rangs. Le dévouement de ces jeunes à Daesh inquiète beaucoup les Occidentaux car ils craignent, avec raison, que leur endoctrinement et leur expérience dans la manipulation des armes et des explosifs ne puissent leur servir à perpétrer des attentats en Europe et partout ailleurs.

L’Etat islamique ne semble pas être un phénomène éphémère. Ses structures sont assez solides et même si ses dirigeants actuels devaient être un jour éliminés, la procédure de succession permettrait à l’Etat de survivre, tout comme al-Qaïda a survécu à la mort d’Oussama Ben Laden.

Pour éliminer Daesh la route sera longue et ardue. Sans un détachement complet de la population locale avec Daesh, et sans une solution politique viable qui mettra fin aux rivalités entre sunnites et chiites en Irak et en Syrie, les chances de succès demeureront négligeables.

Daesh règne aujourd’hui sur plus de 300.000 kilomètres carrés, avec des filiales et des promesses d’allégeance au sein de population arabo-musulmane, notamment en Syrie, en Irak, au Yémen, en Egypte, en Arabie saoudite, en Libye, en Algérie, en Afghanistan, au Nigeria et plus récemment dans le Caucase.

La République islamique d’Iran a également joué un rôle de catalyseur en contribuant à la polarisation du monde musulman en deux camps rivaux chiites et sunnites.

Un autre facteur est le soi-disant « printemps arabe ». Les événements en Egypte, en Tunisie, en Syrie, au Bahreïn et au Yémen ont été exploités par des mouvements islamistes qui ont trouvé la bonne occasion de passer de leurs activités clandestines, après des années d’oppression et de persécution par les différents régimes arabes, à l’avant-garde de la lutte politique pour le pouvoir. Certes, certains régimes ont survécu, même si profondément secoués et déstabilisés – ainsi de l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc – tandis que d’autres, telle la Libye, se sont écroulés ou se battent pour leur survie comme la Syrie, le Liban, l’Irak et le Yémen.

La deuxième guerre américaine en Irak en 2003 a porté un coup mortel à la minorité sunnite qui avait dirigé l’Irak depuis sa séparation d’avec l’Empire ottoman par le colonialisme britannique. Les Américains, cherchant à établir un nouvel ordre mondial avec des régimes démocratiques, ont établi un régime chiite sans précédent, qui à son tour fait preuve de discrimination contre les sunnites qui se sont retrouvés du jour au lendemain dépourvus de tout pouvoir au commandement de l’armée, et au sein du parti Baas. Ainsi, l’Amérique a créé ses ennemis les plus acharnés et les plus malins. L’Irak est devenu rapidement le fief d’al-Qaïda.

Il est stupéfiant de constater que les terroristes de Daesh qui ont émergé en Irak et en Syrie sont bien connus des États-Unis et des services de renseignements occidentaux. Plus de 26.000 personnes ont été détenues durant la guerre et plus de 100.000 ont traversé les portes des camps de Bucca, Cropper, et Taji et parmi ces détenus le chef actuel de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, incarcéré dans le camp Bucca situé dans le sud de l’Irak. En fait les prisons sont devenues des universités virtuelles du terrorisme.

Soulignons que tous ceux qui rejoignent le djihad armé, al-Qaïda ou Daesh forment deux catégories principales :

  • Les criminels, souvent recrutés en prison par des imams radicaux qui parviennent à les rallier à leur cause en leur promettant que leurs forfaits deviendront légaux et conformes à la volonté d’Allah.
  • Les “exaltés”, épris de « folie de grandeur » qui rêvent de guerre et d’action, cherchant à affirmer leur virilité à tout prix et qui sont à la recherche de la violence et de l’aventure. Pour ces personnes, le djihad offre une occasion unique de se livrer à leurs désirs et ambitions et les faire connaître pour satisfaire leur ego dérangé.

Soulignons aussi que la religion n’est pas un facteur déterminant dans les actions des djihadistes. La plupart ne savent rien de l’Islam et répètent quelques versets scandés par les imams radicaux. Il existe aussi des diplômés universitaires djihadistes frustrés d’avoir échoué à s’intégrer dans la société.

En fait, tous les djihadistes ont une pathologie psychiatrique, caractérisée par des troubles dépressifs et une incapacité à s’intégrer dans la société. L’étude de leur passé révèle qu’ils avaient quitté volontairement leur foyer familial et étaient souvent au chômage. Daesh exerce indéniablement un pouvoir d’attraction sur ces individus.

Pour le calife Al-Baghdadi, l’Etat juif qui est soutenu par les États-Unis devrait tôt ou tard être rayé de la carte. En analysant ses déclarations belliqueuses ne pouvons ainsi résumer sa stratégie et ses buts à long terme :

1. Renverser le régime chiite en Irak et contenir l’Iran ;

2. Prendre le contrôle de la frontière syro-turque ;

3. Atteindre Tripoli au Liban pour sécuriser un port en Méditerranée et, par extension, déstabiliser le Liban ;

4. Renverser le régime d’Assad en Syrie ;

5. Déstabiliser l’Egypte, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Arabie saoudite ;

6. Déstabiliser l’Europe et les Etats-Unis par des actes terroristes. L’explosion de l’avion russe dans le Sinaï et les attaques terroristes à Beyrouth et à Paris correspondent à cette stratégie.

Jacques Neriah


Jacques Neriah, « Le règne de Daesh au Moyen-Orient », Le CAPE de Jérusalem : https://jcpa-lecape.org/le-regne-de-daesh-au-moyen-orient/


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