Le modèle américain et la démocratie israélienne

Freddy Eytan

Malgré les différentes guerres et l’esclavage le modèle démocratique américain demeure solide depuis plus de deux siècles. Unique au monde, cette république constitutionnelle à régime présidentiel et fédéral formé d’une cinquantaine d’Etats, fonctionne à ce jour merveilleusement grâce à la clairvoyance des prévisions des pères fondateurs et à la séparation des pouvoirs. Les hommes politiques occidentaux ont donc toujours été fascinés par ce modèle démocratique.

Déjà en 1835, Alexis de Tocqueville écrivait dans sa célèbre étude sur la démocratie américaine « Il n’est pas de grands hommes sans vertu ; sans respect des droits il n’y a pas de grand peuple. » L’homme politique français avait trouvé aux Etats-Unis une démocratie pure et égalitaire. Georges Clémenceau passa quatre ans en Amérique pour apprendre « comment un peuple qui s’est rendu libre peut conserver sa liberté ».

Quelques décennies après, en 1967, Jean Jacques Servan-Schreiber écrit dans son best-seller mondial le défi américain : « Les gisements où il faut puiser ne sont plus ni dans la terre, ni dans le nombre, ni dans les machines – ils résident dans l’esprit. Plus précisément dans l’aptitude des hommes à réfléchir et à créer. »

En Israël, Ben Gourion et Shimon Pérès avaient adopté cette noble formule. Benjamin Nétanyahou applique le système américain depuis sa tendre jeunesse à nos jours. Il lui sert d’objet d’imitation dans l’application de sa politique et dans ses campagnes électorales.

Les valeurs démocratiques américaines sont toujours partagées par la classe politique israélienne. Elles sont ancrées dans une solide alliance stratégique, économique et militaire, quel que soit le président installé à la Maison Blanche.

Trump speaking at a rally on January 6, 2021

Le 6 janvier 2020 fut un jour noir pour la démocratie américaine et le monde libre. Les images retransmises en direct du Capitol par toutes les chaînes de la planète ont choqué et bouleversé les téléspectateurs. La stupeur et la confusion qui les envahissaient rappelaient le terrible 11 septembre 2001, au moment où l’Amérique fut frappée au cœur par des avions kamikazes envoyés par Ben Laden, chef d’al Qaeda.

Le scénario d’une insurrection au Capitol par des citoyens américains, dont certains étaient armés et endoctrinés par leur président, n’a jamais été imaginé même à Hollywood. Il semblait lors de cette tentative de « coup d’Etat » que l’Amérique était au bord d’une nouvelle guerre civile à l’instar des pays totalitaires. La prise d’assaut si facile de l’enceinte du bastion de la démocratie révèle également des défaillances sécuritaires graves et criantes. Comment ne pas prendre des mesures préliminaires et adéquates devant une foule déchaînée, fasciste, et messianique juste après une grande manifestation organisée par la Maison Blanche et suite à une rhétorique incendiaire d’un président en exercice ? Fort heureusement et in extremis, les forces de l’ordre prirent rapidement le contrôle de la situation.

Tear Gas outside United States Capitol

(Tyler Merbler | Flickr | CC BY 2.0)

Certes, Trump s’est engagé à un transfert pacifique du pouvoir mais triste de constater qu’il refuse d’avouer sa défaite et surtout d’assister à la prestation de serment de Joe Biden. Le mauvais joueur n’est sans doute pas dans la tradition américaine. Cette conduite déshonore la fonction présidentielle et toute l’Amérique.

C’est clair, une fois encore la démocratie fut mise à l’épreuve et elle a largement triomphé. Trump a non seulement perdu les élections présidentielles et la majorité au sein des deux Chambres, il a aussi terni à jamais son image de marque et son héritage. Rappelons que certains avait proposé de lui décerner le Prix Nobel de la Paix…

Malgré le vote de 74 millions d’électeurs en faveur de Trump, en fin de compte, le Congrès avec tous les parlementaires républicains a approuvé définitivement l’élection de Joe Biden. Le verdict du peuple a été respecté scrupuleusement et a suscité un énorme soulagement à travers le monde. Pourtant à Moscou, Pékin et Téhéran, les leaders jubilent et se frottent les mains. Les Ayatollahs ont même osé dire que leur régime est plus solide, sans doute meilleur que les démocraties occidentales(sic)…Ils exploiteront à fond la faiblesse et la vulnérabilité du mandat de Trump comme preuve de l’échec du modèle occidental.

Benyamin Netanyahou a condamné vigoureusement le saccage du Capitole et le qualifia « d’acte honteux ». Il ne peut justifier une conduite stupéfiante, malsaine et incompréhensible de celui qui est considéré comme un grand ami de l’Etat d’Israël.

Cependant, de nombreux politiciens, observateurs et journalistes comparent la conduite de Trump à celle de Netanyahou et les partisans du président américain aux militants du Likoud. Certains sont convaincus qu’à l’approche des élections législatives et l’ouverture du procès du Premier ministre, le pire risque d’arriver en Israël aussi.

Depuis la création de l’Etat Juif, les prévisions apocalyptiques affluent à chaque fois sur la fin de la démocratie israélienne et sur le déclenchement d’une guerre civile. Rappelons l’affaire Altalena, les violents affrontements lors de l’évacuation du Sinai puis de la bande de Gaza, celles des manifestations actuelles devant la résidence du Premier ministre, sans oublier l’horrible assassinat d’Itzhak Rabin.

Soulignons que l’incitation à la haine se propage ces jours-ci encore et dans tous les camps et secteurs. Entre Gauche et Droite, entre laïcs et religieux, entre Arabes et Juifs. Le déchirement de la société israélienne en tribus rivales a débuté avec force lors de la Première guerre du Liban. Au moment où des soldats de Tsahal combattaient dans le pays du Cèdre contre les terroristes de l’OLP d’Arafat, à Tel-Aviv et à Jérusalem des manifestations quotidiennes scandaient Begin et Sharon assassins. Certains politiciens et journalistes n’excluaient pas que le général Sharon prendrait un jour le pouvoir par la force des armes…

Hier comme aujourd’hui les piliers de la démocratie israélienne ont résisté aux rudes secousses, aux violents dérapages et à tous les tremblements politiques. Toutefois, comme en Amérique ou en France, la résilience d’un peuple dépend aussi de la conduite exemplaire de son leader.

Depuis la création de l’Etat Juif toutes les passations du pouvoir se sont déroulées dans la dignité et le respect et sans aucun incident. Les décisions gouvernementales et les engagements internationaux ont été appliqués à la lettre.

Malgré les critiques acerbes et les cyniques prévisions, saluons plutôt le bon fonctionnement des institutions israéliennes tout en étant toujours vigilants en écartant les extrémistes et les populistes de tous bords. Dans la même veine, une réforme du système électoral devient urgente pour justement éviter les débordements et maintenir une stabilité gouvernementale et parlementaire.

Aujourd’hui, toutes les démocraties demeurent fragiles, la nôtre en particulier, elle combat en permanence les menaces extérieures et lutte avec acharnement pour pouvoir exister et vivre en paix.