Iran-Arabie saoudite : normalisation au détriment d’Israël ?

Freddy Eytan

L’accord de normalisation diplomatique signé à Pékin entre l’Iran et l’Arabie saoudite modifie la donne géopolitique au Moyen-Orient et les relations internationales. Désormais, ces deux puissances régionales se rapprochent de l’axe Chine-Russie au grand dam des Etats-Unis et dans un contexte de guerre inachevée en Ukraine.

La rivalité entre Iraniens chiites et Saoudiens sunnites-wahhabites a empoisonné les relations entre Téhéran et le monde arabe et a déclenché depuis 2014 une guerre meurtrière au Yémen qui a causé 380 000 morts. L’Iran soutient les rebelles chiites Houthis tandis que le royaume saoudien parraine le gouvernement de Sanaa, à la tête d’une coalition de pays sunnites.

En 2016, les relations diplomatiques sont officiellement rompues entre l’Iran et l’Arabie saoudite, après l’exécution d’un cheikh saoudien de confession chiite, accusé de soutenir le terrorisme. En représailles, les Iraniens avaient attaqué l’ambassade à Téhéran et des installations pétrolières saoudiennes.  

Après tous les échecs de réconciliation entrepris notamment par l’Irak et Oman depuis plus de deux ans, la Chine est entrée en jeu discrètement. Elle prouve qu’elle est plus que jamais une grande puissance incontournable, capable de jouer le rôle d’intermédiaire à la place des Etats-Unis. Pékin avait déjà signé un accord stratégique avec Téhéran. De ce fait, le renforcement de son rôle d’influence diplomatique, stratégique et économique à travers tous les continents inquiète beaucoup Washington.

Biden, Mohammed bin Salman

Le président américain Joe Biden et le prince héritier de l’Arabie saoudite Mohamed bin Salman (Bandar Aljaloud/Saudi Royal Palace)

En ce qui nous concerne, le processus de normalisation entre Téhéran et Ryad a été suivi de près par les services de renseignements israéliens. Les accusations réciproques entre le gouvernement Nétanyahou et l’opposition Lapid sont inutiles et même enfantins. Qui est responsable de ce rapprochement n’a en réalité aucun sens après coup. Il s’agit de problèmes sécuritaires et existentielles qui concernent tous les citoyens d’Israël. Gouverner, c’est prévoir, pour pouvoir réagir à temps et sauvegarder les intérêts stratégiques de l’Etat.

Dans l’immédiat, cette normalisation risque de refroidir nos relations avec les Emirats du golfe persique et elle éloigne tout rapprochement substantiel d’Israël avec l’Arabie saoudite dans le cadre des Accords d’Abraham. En revanche, elle rapproche l’Iran du monde sunnite, donne un second souffle à l’économie iranienne, apaise les protestations dans ce pays et réduit les sanctions occidentales. La reprise des relations diplomatiques entre les deux puissances rivales, laisse le champ libre aux ayatollahs de poursuivre leur projet nucléaire, de renforcer le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza, ainsi que le régime d’Assad en Syrie.

Iran, China, Saudi Arabia

Cérémonie de signature d’accord de normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite à Pékin, 10 mars 2023. (Capture d’écran)

Quant à l’Arabie saoudite, depuis plus d’une décennie elle souhaite acquérir des centrales nucléaires mais les Etats Unis qui craignent une prolifération militaire ont toujours opposé leur véto à cette requête. Israël s’oppose également à la nucléarisation, même si elle est destinée à des « buts pacifiques ». Tsahal avait déjà détruit des sites nucléaires en Irak et en Syrie et ne permettra à aucun pays arabo-musulman de se doter de l’arme atomique.

Aujourd’hui, l’administration Biden est plutôt préoccupée par l’invasion de l’Ukraine par Poutine, par le soutien militaire de l’Iran à la Russie et bien entendu par le renforcement de la présence de la Chine dans le monde. 

L’Arabie saoudite reproche aux Etats-Unis de l’avoir abandonné dans la guerre au Yémen, de refuser de lui offrir un statut spécial au sein de l’Otan et de nouvelles armes pour se défendre, et surtout d’intervenir dans ses affaires intérieures concernant les droits de l’Homme.

Devant le refroidissement des relations avec Washington, le prince héritier saoudien Ben Salman a préféré jouer la carte iranienne pour mettre un terme à la guerre au Yémen mais aussi pour renforcer son influence dans les pays sunnites. Pour les Etats-Unis et pour les Européens cela ouvre la voie à un nouvel accord sur le nucléaire avec Téhéran. La France a salué « toute initiative qui peut contribuer de manière concrète à la désescalade des tensions et au renforcement de la sécurité et de la stabilité régionales. »

De ce fait, la coalition que tente former Nétanyahou contre l’Iran risque de s’effondrer et isoler Israël.

Cette nouvelle situation géopolitique devrait amener le gouvernement israélien à réviser sa politique étrangère, particulièrement à l’égard de l’Iran et du monde arabo-musulman.

Dans le contexte actuel de crise intérieure, devant les critiques internationales, les massives manifestations, et la grogne quotidienne au sein de Tsahal contre la refonte judiciaire, l’option militaire contre l’Iran semble aussi s’éloignée.  

Une rencontre de Nétanyahou avec le président Biden devient urgente. Elle est cruciale pour la marche à suivre.

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