Une troisième guerre du Liban est-elle inévitable ? 

En avril 2018 s’est tenue à Paris une Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE) en présence du président Emmanuel Macron, et du président du Conseil libanais Saad Hariri et de plusieurs ministres des deux pays. Une quarantaine d’Etats, des organisations financières internationales et du secteur privé, étaient aussi présents. L’objectif était de réunir 10 milliards de dollars sur 5 ans pour résorber une dette publique colossale estimée à 150% du PIB, et permettre de financer le plan de développement du Liban dont l’économie et les infrastructures sont fragilisées par de longues années de guerre, une crise institutionnelle et un afflux permanent de réfugiés.

Rien de concret n’a évolué depuis cette conférence parisienne et, récemment, des manifestations violentes ont eu lieu dans le centre-ville de Beyrouth et d’autres régions du pays pour crier la colère contre la classe politique accusée de corruption et de dilapidation des fonds publics. Cette explosion de colère intervient dans un contexte de crise économique et financière sans précédent depuis plus de 25 ans. Le Liban est également soumis à de fortes pressions de la part des États-Unis, qui renforcent leurs mesures contre le secteur bancaire dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le combat contre le terrorisme.

Dans ce contexte de crise économique, de malaise social et de pauvreté, Hassan Nasrallah, le Secrétaire général du Hezbollah, fait la pluie et le beau temps et réussit à s’imposer avec sa milice dans l’État-nation libanais. Face à la faiblesse du pouvoir et de l’armée libanaise, le retrait d’Israël du pays du Cèdre en mai 2000, ainsi que la Deuxième guerre du Liban, le Hezbollah devient un bouclier alternatif à l’armée nationale libanaise, reléguée au rang de défilé militaire et aux tâches policières.

Cependant, contraint par Téhéran de s’engager depuis 2013 dans la guerre civile syrienne, pour réprimer une rébellion de sunnites contre le régime de Bachar el-Assad, la milice chiite libanaise a perdu plus de 2 000 combattants. De ce fait, son image de “mouvement de résistance” invincible contre Israël s’est aussi considérablement détériorée.

Comment Nasrallah peut-il redorer le blason du Hezbollah ? Tout d’abord en changeant radicalement la rhétorique. Soudain, il annonce que toute attaque israélienne contre la Syrie, Gaza ou le Liban provoquerait automatiquement une riposte du Hezbollah contre des cibles israéliennes.

Tout en renforçant ses troupes le long de la frontière libanaise, il a déployé des unités de renseignement sur le plateau du Golan, tout le long de la frontière, à 200 mètres des forces du FNUOD chargées par l’ONU du maintien de la paix. Soulignons que les Gardiens de la Révolution iranienne sont aussi présents là où se trouvent les forces du Hezbollah.

Le chef des Pasdaran, Qasem Soleimani, s’est rendu à Damas, puis a rencontré Nasrallah à Beyrouth le 3 septembre 2019.

Israël et le Hezbollah sont tous deux intéressés à contenir les événements, mais tout incident peut se transformer en une confrontation militaire totale. Alors, Tsahal se lancera en priorité dans la destruction de la menace existentielle créée par le programme de missiles de précision.

Voilà déjà 26 ans que l’État d’Israël tolère la présence de Hassan Nasrallah et sa milice terroriste iranienne dans le pays du Cèdre. Toutefois, ce chef chiite demeure une énigme aux yeux de nombreux Israéliens. Il a réussi au fil des ans a transformer la communauté chiite historiquement persécutée au Liban en un pouvoir qui dicte l’agenda politique et militaire.

Les défenseurs de Nasrallah le présentent comme un homme politique de parole, rare dans le monde arabe. Un chef ayant prouvé, selon eux, une profonde compréhension de la politique et de la société israélienne et de ses intentions.

La vérité sur le terrain est bien différente car le Liban souffre depuis toujours d’une faiblesse militaire, de guerres civiles et de crises sociales et économiques. Nasrallah a profité de cette situation souvent chaotique pour renforcer ses positions dans un pays déchiré par la multiplicité de confessions et des conflits internes.

Le Hezbollah a joui de sa force politique et militaire et de son prestige aux yeux des Libanais en raison de ses “succès” contre Israël. Le jour où le Hezbollah s’est lancé dans la guerre civile syrienne tout a basculé à son détriment. Son intervention aux ordres des Ayatollahs iraniens a suscité la colère de ses opposants politiques au Liban. Dès que le Hezbollah chiite a « abandonné » son combat direct contre l’État juif pour réprimer une révolte sunnite en Syrie, l’image du « mouvement de résistance » s’est détériorée et a pris une mauvaise tournure.

Certes, les batailles en Syrie ont perdu de leur intensité mais le Hezbollah est toujours engagé dans la campagne à Idlib dans le Nord-Ouest du pays. Le Hezbollah, satellite de l’Iran, dispose également des unités et des conseillers à Damas, à Deir el-Zor, au Yémen et en Irak.

Après avoir payé un lourd tribut à son implication militaire destinée à soutenir le régime d’Assad, le Hezbollah se concentre sur la reconstruction de ses unités et d’un retrait partiel de ses forces combattantes en Syrie. La crise économique, les sanctions imposées par les États-Unis à l’Iran et au Hezbollah ont entraîné une grave réduction de l’aide financière iranienne et ont aussi ravivé les forces politiques rivales au Liban – chrétiens maronites et musulmans sunnites – contre l’intervention du Hezbollah et la paralysie constante du pays.

Funérailles du Hezbollah après la bataille de Zabdani, en Syrie, en 2015

Depuis août 2006, l’État d’Israël a choisi de ne pas confronter le Hezbollah au Liban se concentrant sur la collecte de renseignements en suivant à la loupe les efforts iraniens de réarmer et renforcer l’arsenal du Hezbollah. Selon la presse arabe, des centaines d’attaques ont été menées avec un grand succès par l’armée de l’air israélienne en Syrie et en Irak. Ces attaques ont été menées contre des dépôts de missiles, des entrepôts d’approvisionnement et des convois en provenance d’Iran par voie terrestre, maritime et aérienne. Les raids israéliens avaient pour but de stopper le processus de modernisation des missiles, mais n’ont pas réussi à empêcher la mise en place d’un vaste éventail de 120 000 missiles et roquettes.

Jusqu’à ce jour, le Hezbollah n’a pas réagi ni relancé des représailles car c’est clair qu’Israël dicte désormais ses conditions sur le terrain. Même les attaques ciblées attribuées à Israël contre les commandants militaires du Hezbollah ont été répondues timidement par la milice chiite libanaise.

Au fil des ans, nous constatons une sorte d’équation : Israël ciblerait et attaquerait à l’extérieur du Liban, tout en survolant l’espace aérien libanais à ses propres fins. Pendant ce temps, le Hezbollah serait quasiment à l’abri et jouirait d’une liberté de manœuvre.

Cette vision de la politique israélienne à l’égard du Hezbollah a été sans doute mal interprétée et a été traduite comme une preuve de faiblesse et de manque de détermination israélienne. De facto, le Hezbollah et Israël s’étaient mis d’accord sur toute une série d’ententes non écrites déterminant les activités et les limites d’Israël au Liban. À cet égard, la Dahiyeah, QG du Hezbollah situé au sud de Beyrouth, et considéré comme « sacro-saint » pour l’organisation chiite, était définitivement interdit aux actions de Tsahal.

Sous le couvert de cette équation, les dirigeants et les porte-parole du Hezbollah ont levé le ton en publiant des plans visant à envahir et à occuper certaines régions de la Galilée. Le Hezbollah a creusé des tunnels d’attaque pour atteindre le cœur même des zones urbaines et rurales israéliennes, tout en préparant des labyrinthes et des bunkers élaborés dans le sud du Liban, à proximité d’Israël, dans une zone interdite à l’organisation chiite, conformément à la résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations unies adoptée en août 2006, juste après la guerre.

Récemment, l’intensité des attaques israéliennes en Syrie a incité Nasrallah à menacer Israël et provoquer automatiquement une réaction contre des cibles israéliennes.

Ignorant ces menaces, Israël poursuit sa politique en dictant les événements et en affirmant que son objectif est d’empêcher toute présence de l’Iran et de ses milices à proximité du Golan.

Depuis septembre 2018, Israël a publiquement mis en garde contre les efforts de modernisation des missiles de précision. Dans divers forums internationaux et notamment à l’Assemblée générale des Nations unies, Israël a averti le gouvernement libanais qu’il paierait un lourd tribut.

Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a délivré un violent discours anti-israélien, le 30 août 2019

Lors d’un discours enflammé prononcé le 30 août 2019 depuis son bunker, et retransmis en direct sur écran géant devant ses troupes, Nasrallah a déclaré que deux drones étaient impliqués dans une attaque dans le sud de Beyrouth, dont un a explosé, causant des dommages mineurs à un bâtiment du bureau du Hezbollah. L’autre aurait été trouvé contenant des explosifs. Nasrallah a confirmé la mort de deux combattants du Hezbollah. Il précise encore et prévient : « si Israël tue l’un de nos membres en Syrie, nous répondrons du Liban et non depuis les fermes de Chebaa ». Il a aussi affirmé qu’il ciblerait désormais tout drone ou aéronef pénétrant dans l’espace aérien libanais.

Selon le Times londonien, l’attaque présumée de drones israéliens sur un site du Hezbollah à Beyrouth a ciblé des caisses censées contenir des machines permettant de mélanger un propulseur de haute qualité pour des missiles de précision à carburant solide. Les cratères de la bombe ont montré des débris de machines utilisées pour mélanger du propulseur de haute qualité pour les missiles.

Toujours selon le Times, l’installation servait à stocker un « mélangeur » sophistiqué, élément essentiel de la production de propulseurs de missiles modernes de précision. Ce mélangeur fabriqué en Iran a été sérieusement endommagé et son mécanisme de contrôle informatisé a été détruit. Deux camions vus en flammes après l’explosion transportaient des caisses avec des machines.

Enfin, si l’attaque par « drone suicide » se confirmait, explique le Times, le conflit entre Israël et les milices soutenues par l’Iran à travers le Moyen-Orient risquerait de s’intensifier, le Hezbollah menaçant déjà de représailles.

Sa promesse de se venger est mise en exécution le 1er septembre 2019 en attaquant un véhicule militaire israélien dans la région d’Avivim, située à la frontière Nord. Il n’y a pas eu de victimes contrairement à ce qu’avait affirmé la milice chiite et Israël a riposté par des tirs d’artillerie et de chars. Cet incident risquait de provoquer une nouvelle escalade mais quelques heures plus tard le calme est revenu.

Le chef du Hezbollah a beau déclarer établir de nouvelles règles interdisant à Israël de survoler l’espace aérien libanais et d’agir au Liban en toute circonstance et d’affirmer une fois encore qu’il poursuivrait son projet de missile de précision, en réalité il est contraint à la retenue.

Certes, le Hezbollah fera tout ce qui est en son pouvoir pour lancer des raids contre Israël. Toutefois, si les intentions et la forte volonté existent, la mise en exécution dépend de la capacité opérationnelle de la milice chiite.

Les critiques politiques et les réactions de la presse ainsi que les dernières manifestations contre la vie chère et la corruption prouvent que les Libanais veulent à tout prix empêcher Nasrallah de les traîner dans une guerre inutile et très coûteuse qui plongera le pays dans le chaos total.

Le fiasco de l’incident d’Avivim a ridiculisé le Hezbollah dans la presse arabe et, de ce fait, Nasrallah ne pourra s’aventurer à ouvrir les hostilités.

Israël et le Hezbollah sont donc tous deux intéressés à contenir les événements, mais une seule étincelle pourrait toujours enflammer cette situation explosive.

Jacques Neriah

 


Pour citer cet article

Jacques Neriah, « Une troisième guerre du Liban est-elle inévitable ?  », Le CAPE de Jérusalem, publié le 6 octobre 2019: https://jcpa-lecape.org/une-troisieme-guerre-du-liban-est-elle-inevitable/

Illustration de couverture: Défilé militaire du Hezbollah (photo AFP/Mahmoud Zayyat).

NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.

 

 

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