Ratification du référendum en Egypte : un nouvel espoir ?

wikipedia-zmLa première étape de la « Feuille de route » annoncée par le général Abdel Fattah el-Sissi et le gouvernement provisoire mis en place après le renversement du président Morsi s’est achevée par un plein succès. Le succès du « oui » au référendum à conféré au général la légitimité dont il avait besoin en Egypte et en Occident. Un Occident qui, rappelons-le, avait qualifié de « coup d’état militaire inacceptable » les événements qui avaient chassé du pouvoir les Frères musulmans et leur président élu. Le référendum a été accepté par 98.1% des votants, une victoire spectaculaire – un peu trop même – car évoquant les scores ronflants des Moubarak et autres Kadhafi. Pourtant cette fois-ci la situation est autre. Le vote ne consistait pas tant à approuver ou non une constitution qu’une grande partie des Egyptiens est incapable de lire, voire de comprendre : c’est le général Sissi qui était plébiscité. La constitution a beau être la moins islamique et la plus démocratique depuis Sadate, le peuple a démontré qu’il voulait voir Sissi présenter sa candidature à la présidence. Le pays est las des trois années d’anarchie et d’insécurité qu’il vient de vivre depuis la chute de Moubarak. Trois mille morts et bien plus de blessés, une économie en ruine, un chômage envahissant et les touristes de plus en plus rares, voila le triste bilan de cette période. Plus grave encore est la perte d’espérance, le sentiment que la révolution devant donner naissance à un régime plus démocratique tout entier tourné vers l’essor économique et une vie meilleure pour les Egyptiens avait échoué. Le général Sissi apparaît aujourd’hui comme le dernier recours. Il représente l’armée, la seule institution qui jouisse du respect et de l’affection d’un pays qui y voit le symbole de son unité et le garant de sa sécurité. Et cela bien que le Conseil Supérieur des Forces Armées qui a dirigé l’Egypte dans l’après-Moubarak se soit montré incapable de rétablir l’ordre et de s’occuper de l’économie. Une fois de plus les Egyptiens se tournent vers  un homme fort pour mettre fin à l’anarchie et sauver le pays du péril.

Cependant, le général Sissi a de quoi être inquiet. Il avait espéré une large mobilisation, un taux de participation d’au moins 50% afin de démontrer l’ampleur de sa base populaire. Il n’a obtenu que 38.6%, soit un peu mieux que les 32.8% qui s’étaient déplacés pour la constitution des Frères musulmans approuvée alors avec 62% de « oui ». Nombreux sont les Egyptiens qui hésitent à remettre à nouveau les rênes du pouvoir à un général après Nasser et Moubarak, même si, conformément à la nouvelle constitution, Sissi devra quitter l’armée pour présenter sa candidature. En outre, la Confrérie et ses alliés –Al Gama’a Al Islamia et les partis Al Watan et Al Wasat – ont boycotté le référendum. Ils avaient fait le calcul que, contrairement aux dires de la presse, une abstention massive prouverait que le régime provisoire ne disposait pas d’un large soutien populaire. Ils se sont lourdement trompés. S’ils avaient pris part à la consultation, ils auraient sans doute obtenu de 20 à 25% de « non » et auraient fait la démonstration de leur force électorale à la veille des élections parlementaires, d’autant que les partis non islamiques sont encore très divisés. Le camp des Islamistes n’était d’ailleurs pas non plus uni : le mouvement salafiste « Al Dawa al Salafia », dont est issu le parti Al Nour qui avait obtenu 23% des voix à l’élection parlementaire de 2012, avait appelé à voter « oui » pour marquer sa réprobation aux Frères musulmans qui les avaient ignorés lorsqu’ils avaient obtenu le pouvoir et ne leur avaient donné aucun poste important au gouvernement. Voici une nouvelle preuve du fait que la Confrérie, qui a eu la chance inespérée de diriger le pays, s’en est montrée incapable. C’est d’ailleurs la conclusion d’un ouvrage récemment publié au Caire par Amar Ali Hassan : Intihar Al Ikwan (Le Suicide des Frères) : ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

Sissi et ses alliés ont sans doute gagné une bataille, ils auront eux-aussi à montrer qu’ils peuvent mieux faire. Le général va sans doute annoncer sa candidature et sera facilement élu. A lui de comprendre que la confiance accordée par le peuple n’est pas absolue. Il va devoir prouver qu’il se consacre tout entier aux problèmes du pays ; au cas où il laisserait croire qu’il compte transformer le régime en une nouvelle dictature militaire, les Egyptiens pourraient bien descendre à nouveau dans la rue et plonger le pays dans une nouvelle spirale de violence.

Les Frères musulmans feront tout pour le contrer. Ils se refusent à accepter leur défaite en dépit du référendum. Ils vont continuer à se battre et s’il leur est de plus en plus difficile de faire descendre leurs partisans dans la rue, ils n’hésitent pas à recourir à la violence et à ouvrir le feu sur les forces de l’ordre, lesquelles répliquent, ajoutant leur cortège de victimes de part et d’autre. Djihadistes et militants salafistes se joignent à eux et multiplient les attentats dans la meilleure tradition de l’Islam radical. Cela ne va pas faciliter le redressement économique et social ni le retour au calme mais ce n’est pas un phénomène nouveau : les attentats se sont succédés durant les longues années du régime Moubarak. Citons seulement le massacre de Louxor en 1997 qui fit 57 victimes.

Dans la péninsule du Sinaï les groupes extrémistes salafistes et djihadistes continueront à attaquer populations civiles et forces de l’ordre, mais l’armée est en train de reconquérir le terrain même si elle n’arrivera sans doute pas à éliminer totalement le terrorisme. Au cours des derniers mois elle a renforcé sa présence avec l’accord d’Israël et infligé de lourdes pertes aux rebelles. L’Egypte songerait maintenant à se tourner contre le Hamas à Gaza, accusé d’aider les mouvements terroristes.

La prochaine étape de la feuille de route – l’élection du parlement et du président – doit intervenir dans les six mois après la ratification du référendum. De l’avis général, on procédera d’abord à l’élection présidentielle. Si, comme prévu, Sissi était élu, cela devrait encourager les partis non-islamiques à travailler ensemble et à présenter un front uni pour faire bloc contre les partis islamiques aux élections parlementaires.

Rien de tout cela ne sera facile. Il faut s’attendre à voir de nouvelles manifestations et des actes de violence dans les prochains mois. Tout de même, l’élection d’un nouveau parlement devrait ouvrir la voie à une ère nouvelle. Au général Sissi et aux nouveaux dirigeants de convaincre le peuple qu’il n’a pas eu tort de leur faire confiance.

Zvi Mazel