Le renforcement de l’opposition ethnique en Iran

wikipedia-segallDepuis plusieurs semaines l’Iran est frappé par des attaques terroristes et des assassinats perpétrés par des groupes ethniques opposés au régime des Ayatollahs.

Les attaques contre les infrastructures pétrolières iraniennes dans la région d’Ahvaz sont apparemment une réaction à la politique répressive que mènent les autorités locales contre la minorité arabe.

De nombreuses arrestations ont été enregistrées, de faux procès, des exécutions sommaires tandis que les expulsions de jeunes sont devenues monnaie courante.

En Iran vivent actuellement six à sept millions de Kurdes. Bien qu’ils fassent partie de l’Etat iranien, ils se distinguent par leur propre langue et leur religion sunnite au sein d’une population dont l’écrasante majorité est chiite.

Les attaques contre des installations pétrolières, si elles prenaient de l’ampleur, pourraient poser un problème grave pour l’économie iranienne qui tente par tous les moyens de renouveler les exportations de pétrole suite à la levée des sanctions. Les attaques contre les infrastructures énergétiques pourraient créer un environnement instable et dangereux pour les entreprises internationales.

Il est clair que la répression des forces de sécurité iraniennes contre les Arabes sunnites augmente la grogne et la colère de cette population ainsi que ses aspirations séparatistes.

Soulignons que le régime iranien a été jusqu’à présent épargné par les répercussions régionales et les turbulences causées par le Printemps arabe. Ces dernières semaines, il semble que le régime craigne des effets secondaires.

Les auteurs de cette nouvelle vague de violence sont divers : des Kurdes peshmergas installés dans le nord du pays, près de la frontière irakienne ; des Salafistes sunnites opérants près de la frontière orientale de l’Iran avec le Pakistan ; des Arabes sunnites installés dans la province du Khuzestan, près de la frontière irakienne, dans le sud-ouest de ce vaste pays.

Au début du mois de juin 2016, le groupe sunnite Suqour al-Ahvaz (les Faucons d’Ahvaz) a pris la responsabilité d’une forte explosion ayant provoqué un incendie au sein du complexe pétrolier de Bou-Ali-Sina, à Bandar-E Mahshahr, au Khuzestan.

Les autorités iraniennes avaient affirmé que l’explosion et l’incendie avaient été provoqués par une fuite de gaz et non par une attaque terroriste. En réalité, l’explosion a eu lieu suite à des manifestations d’ouvriers contre leurs difficiles conditions de travail.

Les Faucons d’Ahvaz ont revendiqué l’attentat et, dans leur communiqué, ils appellent à poursuivre la résistance contre l’occupation iranienne des terres arabes qui, selon eux, avait « franchi une ligne rouge. » Ils précisent également que l’explosion était une réaction à la politique répressive de l’Iran contre la minorité arabe d’Ahvaz. Ils appellent l’opinion internationale à réagir pour mettre fin aux arrestations arbitraires en cours, aux exécutions et aux expulsions de jeunes de la région.

Le porte-parole de ce groupe rebelle a mis en garde contre de nouvelles attaques contre les infrastructures vitales et les installations stratégiques en Iran. Selon lui, il s’agit d’une nouvelle tactique visant à porter atteinte à l’économie iranienne. Elle se développe au détriment du peuple d’Ahvaz qui vit toujours sous le seuil de la pauvreté.

Plus de trois millions d’Arabes vivent dans la riche région pétrolière du Khuzestan. Le chômage a augmenté considérablement et la pollution de l’air atteint des niveaux très élevés. Les différentes attaques contre les infrastructures pétrolières et gazières pourront porter un coup très dur à l’industrie locale.

Les médias iraniens n’ont presque pas évoqué ces attaques car les forces de sécurité iraniennes ont bouclé toute la zone et ont imposé une sévère censure.

Près de la frontière pakistanaise, des groupes affiliés au Djihad mondial continuent à agir contre les Gardiens de la Révolution iranienne. Au mois de juin 2016, le groupe du Djihad mondial, Jaish al-Adl, avait attaqué les forces iraniennes opérant dans le Sistan et la province du Baloutchistan. Il a affirmé avoir tué des dizaines de soldats iraniens dans un attentat suicide perpétré dans la ville de Khash. Cinq Pasdarans ont également été tués lors d’un affrontement avec une milice sunnite revenant du Pakistan.

iranethnique2

Poster du the Mouvement de Libération Arabe d’Ahvaz

Parallèlement aux intenses activités des forces séparatistes dans la région du Khuzestan, ainsi que les attaques de groupes djihadistes le long des frontières pakistanaises et afghanes, nous constatons également des actions de la part des Peshmergas, l’opposition kurde en Iran.

En juin 2016, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) a revendiqué des attaques contre des Pasdarans dans la région d’Ochnavieh et Sarvabad, villes voisines de l’enclave kurde dans le nord de l’Irak. Plusieurs membres des Gardiens de la Révolution ainsi que des combattants kurdes ont été tués dans les affrontements. Dans un autre incident, le groupe kurd, PartiyaJiyana Azad un Kurdistanê, (PJAK) a attaqué, en coordination avec le PKK turc, des Pasdarans iraniens près de la ville de Sardasht, située près de la frontière irakienne.

Actuellement, les six à sept millions de Kurdes vivant en Iran dans des conditions difficiles sont principalement concentrés le long de la frontière irakienne. En mai 2016, le président Hassan Rouhani avisité certaines régions kurdes et leur avait promis de créer des centres pour l’étude de la langue kurde, et qu’il donnerait un second souffle économique à toute la région.

Selon Rouhani : « Les Kurdes jouissent d’une meilleure situation sécuritaire [sic] que leurs homologues en Irak, en Turquie ou en Syrie ; ils jouissent des mêmes droits que toute la population iranienne (sic).»

Le PDKI a longtemps lutté pour l’indépendance des régions kurdes situées au nord de l’Iran. Les dernières attaques interviennent dans la perspective d’une indépendance possible kurde en Syrie le long de la frontière turque. Le PDKI tente de poursuivre un programme indépendant, mais semble être pris entre les intérêts contradictoires des divers groupes kurdes installés dans les quatre principaux pays : Syrie, Turquie, Irak et Iran.

Par exemple, les Kurdes dans l’enclave kurde du nord de l’Irak tentent de maintenir des canaux ouverts pour l’exportation de pétrole à la fois en Turquie et en Iran. Ils ne veulent certainement pas ouvrir un nouveau front avec l’Iran en dépit de l’activité militaire croissante du PDKI. De même, les Kurdes dans le nord de l’Irak ont constitué une politique prudente de non-intervention dans la lutte difficile et sanglante de la Turquie contre le PKK, dont les bombardements ciblés dans lenord de l’Irak. Quant à l’Iran, suite aux derniers affrontements avec le PDKI, il menace d’agir avec force contre les «terroristes» kurdes.

Jusqu’à ce jour, les affrontements n’étaient que ponctuels et relativement de faible intensité. Ils sont surtout inspirés par les changements géostratégiques du Moyen-Orient et les efforts déployés pour le remodeler.

Cependant, si ces affrontements prenaient de l’ampleur, ils poseront des problèmes graves pour l’Iran qui souhaite renouveler ses exportations de pétrole après la levée des sanctions. Les attaques contre les infrastructures énergétiques causeront un environnement instable et dangereux également pour les entreprises étrangères. Actuellement, elles sont surtout préoccupées par l’intention de l’Iran de renouveler les contrats en utilisant un système de rachat d’actions, ce qui est plus avantageux pour l’Etat iranien que pour les entreprises étrangères.

Pour l’heure, il est trop tôt d’envisager une révolte ethnico-religieuse de masse provoquant en Iran un changement important au sein du régime. Toutefois, nous constatons que les Ayatollahs sont d’ores et déjà sur le qui-vive et craignent en effet des répercussions régionales suite au fameux Printemps arabe.

Michael Segall

 


Pour citer cet article :

Michael Segall, « Le renforcement de l’opposition ethnique en Iran », Le CAPE de Jérusalem : https://jcpa-lecape.org/le-renforcement-de-lopposition-ethnique-en-iran/