Le double jeu de la stratégie iranienne

Le 4 novembre 2019, le président iranien, Hassan Rohani, a annoncé la relance d’activités d’enrichissement d’uranium, jusqu’à présent « gelées ».

Il s’agit d’une nouvelle étape de son désengagement progressif de l’accord sur le programme nucléaire signé à Vienne le 14 juillet 2015.       

La production d’uranium enrichi a déjà commencé dans l’usine souterraine de Fordow, au sud de Téhéran.

Le même jour, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) l’AIEA a estimé qu’il n’était « pas acceptable » que Téhéran ait momentanément empêché l’une de ses inspectrices de quitter l’Iran en raison de suspicions à son encontre. L’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) a annoncé avoir retiré l’accréditation de l’inspectrice concernée en raison d’un incident survenu lors d’un « contrôle » à l’entrée de l’usine de Natanz.

Dans une déclaration à la presse, l’ambassadeur iranien auprès de l’AIEA, Kazem Gharib Abadi, a indiqué que des traces d’une substance explosive à base de nitrate avaient été décelées lors du contrôle de cette employée de l’AIEA. Abadi a démenti que l’inspectrice ait été arrêtée, affirmant qu’elle avait été autorisée à quitter le pays malgré les enquêtes en cours sur l’incident et que son départ avait été « facile et rapide ».

Dans un communiqué, le Secrétaire d’État américain, Mike Pompeo a affirmé qu’il s’agissait de la part de Téhéran « d’un acte d’intimidation scandaleux et injustifié ».  

La relance des activités d’enrichissement d’uranium, annoncée par Hassan Rohani a pour but de contraindre les Européens à tenir leur promesse de compensations des sanctions américaines.

L’ayatollah Khamenei ridiculisant le “médiateur” Emmanuel Macron (capture d’écran)

Le Premier ministre Benjamin Nétanyahou a accusé l’Iran de « continuer à mentir » sur son programme nucléaire et a appelé l’Europe à « cesser de gagner du temps » et à affronter la République islamique alors que des pays membres de l’AIEA ont examiné un rapport sur une enquête en cours à propos d’un site de Téhéran qui abriterait un entrepôt atomique secret.

Déjà, en septembre 2018, à la tribune de l’ONU, Nétanyahou avait dévoilé un plan secret iranien de développement d’armes nucléaires à Turkuz Abad. L’AIEA avait alors envoyé des inspecteurs sur les lieux et en effet confirmé que l’Iran avait menti sur son programme nucléaire. Selon le Premier ministre israélien, l’Iran continue donc de mentir.

Le Secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a déclaré : « le dernier développement du programme nucléaire iranien conduira à plus d’isolation et de sanctions. Les nations devraient revenir à l’ancienne politique qui interdisait l’enrichissement pour le programme nucléaire iranien. Le régime iranien, équipé d’armes nucléaires, constituerait une menace encore plus grande pour le monde ».

De son côté, Emmanuel Macron, demande à nouveau des gestes des deux côtés. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, pointe du doigt les États-Unis et se dit préoccupé depuis l’annonce en mai 2018 de la sortie de l’accord de Vienne. Selon lui, par cette décision, Donald Trump a relancé la crise avec l’Iran.

Soulignons qu’en août dernier, Washington avait réactivé les sanctions contre la République islamique, et a ainsi asphyxié l’économie iranienne.

Behrouz Kamalvandi, porte-parole de l’OIEA a déclaré que l’Iran commencerait à transférer les matières nucléaires sur le site de Fordow dans le cadre de sa quatrième phase de renonciation à ses obligations en matière d’accord nucléaire. Il a précisé que l’accord nucléaire interdisait à l’Iran de transférer des matières nucléaires à Fordow, « mais l’Iran est en train de transférer des matières nucléaires sur le site ». Il a ajouté que l’AIEA avait été informée du transfert des matières nucléaires avant qu’elles soient introduites dans des centrifugeuses.

Le 5 novembre 2019, le président Hassan Rohani a déclaré qu’il avait chargé l’AEOI de mettre en œuvre la quatrième étape consistant à s’éloigner des engagements iraniens envers l’accord nucléaire. Il a affirmé que ces nouvelles étapes comme les précédentes étapes sont « réversibles » et que si les autres signataires remplissent leur part de l’accord et reviennent à la situation antérieure, alors l’Iran remplira ses engagements. Rohani a noté que l’AIEA serait autorisée à surveiller les activités.

Le président iranien a déclaré que l’installation de Fordow disposait actuellement de 1 044 centrifugeuses dans lesquelles du gaz d’uranium sera injecté. Il s’agit d’une violation directe de l’accord nucléaire, où il a été convenu que les centrifugeuses seraient exploitées sous vide et sans aucune injection de gaz. En vertu de l’accord, l’Iran s’est également engagé à réduire considérablement le nombre de centrifugeuses sur le site d’enrichissement de Fordow et à interdire l’enrichissement d’uranium d’ici 2031.

Dans le même temps, Rohani a précisé que l’Iran poursuivait ses négociations en coulisse avec plusieurs pays pour pouvoir résoudre la crise. Rohani a affirmé que l’Iran « espérait obtenir des résultats avant de prendre ces nouvelles mesures », mais cela ne s’est pas produit et donc, selon Rohani, « nous avons dû franchir cette quatrième étape ».

Le guide suprême Khamenei a exprimé son grand pessimisme quant à l’issue des négociations entre l’Iran et l’Occident concernant l’accord nucléaire. Il a critiqué le « médiateur » Emmanuel Macron, en déclarant : « on se demande s’il est vraiment si naïf ou s’il est juste un complice et travaille avec les États-Unis ». Selon Khamenei, les négociations et toutes les réunions en cours ne résoudront pas le problème.

Le président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, Ali Akbar Salehi (ISNA photo)

De son côté, Ali Akbar Salehi, président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, a déclaré que l’Iran, sous la supervision d’inspecteurs de l’AIEA, enrichirait partiellement l’uranium dans une installation d’enrichissement de Fordow, baptisée Masoud Alimohammadi du nom d’un scientifique iranien assassiné en janvier 2010. Il a souligné que pour enrichir l’uranium à 5%, l’Iran utiliserait des centrifugeuses capables d’enrichir l’uranium à 20%.

Salehi affirme textuellement : « L’Iran n’a rien perdu à la suite de la signature de l’accord signé à Vienne le 14 juillet 2015 (JCPOA), et l’Histoire le prouvera. Nous avons préservé nos capacités dans le domaine de l’enrichissement. Nous continuons à fabriquer de nouvelles centrifugeuses. Nous faisons tout ce que nous devons faire. »

Le chef iranien du projet atomique a dévoilé que son pays avait transféré 30 tonnes de matière fissile première, utilisée pour produire du combustible nucléaire, du site de production d’Ardakan à Ispahan. Salehi n’a pas mentionné le nom du site, mais il semble qu’il se réfère à l’installation de conversion d’uranium de Natanz.

Salehi a suggéré que l’Iran continuait à « découvrir et à exploiter » l’uranium pour pouvoir construire deux réacteurs nucléaires supplémentaires dans la province de Bushehr, comme prévu, et à poursuivre ses activités au sein du réacteur à eau lourde d’Arak.

Soulignons que déjà, en janvier 2016, l’AIEA avait publié un rapport confirmant que l’Iran avait supprimé et rendu « inutilisable » l’installation d’Arak.

Plusieurs autres rapports confirmaient le scellement du cœur du réacteur.

L’Iran n’a pas couvert de ciment le cœur du réacteur pour le rendre inutilisable dès janvier 2016, comme l’exigeait l’accord sur le nucléaire.

Le réacteur d’Arak n’a pas été scellé comme l’exigeait pourtant l’accord nucléaire (photo Iran News Agency)

Lors d’une interview à la télévision diffusée dans le cadre des commémorations du 40e anniversaire de la Révolution, Salehi a affirmé, le 22 janvier 2019, que les images publiées à l’époque montrant que l’Iran avait complètement scellé le cœur du réacteur étaient falsifiées. Selon lui, l’Iran n’a jamais été tenu dans le cadre de l’accord de sceller le cœur du réacteur.

Toujours selon Salehi, les discussions concernant les aspects techniques des pourparlers sur le nucléaire ont été conduites de telle manière qu’elles ont permis certaines violations que l’Iran a pu exploiter.

Dans le même contexte, Behrooz Kamalvandi, porte-parole de la Commission iranienne de l’énergie atomique, a déclaré que l’Iran restructurait le réacteur à eau lourde d’Arak avec l’aide de la Chine, mais il peut également le faire sans aucune aide étrangère. Le partenariat avec la Chine est censé accélérer la réalisation du programme. Il a défini le plan nucléaire iranien comme « logique ».

Salehi a également déclaré que l’Iran avait développé sa propre technologie nucléaire et qu’il n’avait rencontré aucune restriction en matière de recherche et de développement. Il a ajouté que « les restrictions sont principalement liées à la fabrication de centrifugeuses de pointe sur une période de huit ans… Les Européens ont besoin de huit ans pour assembler des centrifugeuses, de la planification à la mise en service. Pour l’Iran, cela prend dix ans… »

On le constate une fois encore, l’Iran se moque éperdument des accords signés et agit comme de coutume avec ruse pour réaliser toutes ses activités.

De toutes les manières, avec sa stratégie actuelle, l’Iran continue de se doter progressivement de capacités nucléaires lui permettant de reprendre rapidement, et le moment voulu, toutes ses activités liées au programme nucléaire.

JCPA-CAPE de Jérusalem

 


Pour citer cet article

JCPA-CAPE de Jérusalem, « Le double jeu de la stratégie iranienne », Le CAPE de Jérusalem, publié le 10 novembre 2019: https://jcpa-lecape.org/le-double-jeu-de-la-strategie-iranienne/

NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.

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