L’accord de Genève sur le nucléaire et son impact sur le régime iranien

wikipedia-segallL’accord de Genève sur le nucléaire iranien est devenu un sujet de controverse à l’intérieur de l’Iran, en particulier entre les gardiens de la Révolution et le Président Hassan Rohani. Le rapprochement avec les Etats-Unis divise profondément les Iraniens et il impensable que les ayatollahs abandonneront un jour leur politique intransigeante vis-à-vis de l’Occident en renonçant à leur idéologie islamique et révolutionnaire. Les conservateurs ont refusé à ce jour d’utiliser l’accord sur le nucléaire pour pouvoir tourner une page avec « le Satan » américain. Ni la campagne de charme de Rohani à l’égard de l’Occident ni l’opinion publique iranienne n’ont réussi à ébranler le pouvoir des ayatollahs et la force incontestable des pasdarans.

La bataille entre conservateurs et réformateurs est sans précédent depuis l’avènement de l’ayatollah Khomeiny et elle est mise aujourd’hui à l’épreuve par le bras de fer qui oppose le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Jawad Zarif, au commandant en chef des gardiens de la Révolution, Mohammad Ali Jaafari. Ce dernier rappelle la Seconde guerre du Liban en 2006 et souligne que les bombardements israéliens n’ont pas réussi à infliger une défaite au Hezbollah : « si les Américains et leurs “chiens enragés” de la région [Israël] avaient la capacité d’agir militairement contre l’Iran, les Etats-Unis et leurs alliés n’auraient jamais accepté de s’asseoir avec nous à la table de négociations à Genève. » Jaafari lance aussi une mise en garde et ajoute que les : « les Américains et les sionistes sont conscients de l’importance stratégique de la région du Golfe persique et de la vulnérabilité des forces américaines stationnées dans le détroit d’Ormuz et dans l’océan Indien ». Il a une nouvelle fois menacé de lancer des bombes dévastatrices contre Tel-Aviv et Haïfa en se référant également à la capacité militaire du Hezbollah.

Le chef des gardiens de la révolution ne claque pas la porte de Genève, mais souligne avec force le droit du peuple iranien de se doter de l’arme nucléaire et de s’opposer farouchement aux sanctions. Il pense que les négociations avec l’Occident doivent se limiter uniquement sur ce sujet épineux et en aucun cas entamer une normalisation des relations avec les Etats-Unis car ils demeureront toujours un ennemi.

L’accord de Genève a également provoqué un débat virulent au Majlis (Parlement) et les sévères critiques ont été largement diffusées à la télévision iranienne. Des critiques ont été aussi publiées dans la presse locale. Dans une série d’articles, le journal conservateur Kayhan, qui reflète habituellement l’opinion du Guide suprême Khamenei, a rejeté tout compromis dans la négociation nucléaire et a réaffirmé la position officielle iranienne.

Dans le camp réformateur, soulignons les propos de Saleh Ziba kalam, professeur à l’Université de Téhéran et célèbre analyste politique. Il a affirmé que l’accord de Genève n’est pas seulement limité à la question nucléaire. Il s’agit, selon lui, d’un véritable tournant historique car pour la première fois depuis la révolution islamique de 1979 un accord a été conclu entre l’Iran et l’Occident, en dépit des tentatives de sabotage des extrémistes. Quant au ministre des Affaires étrangères Zarif, il a préféré utiliser Facebook et Twitter (les citoyens iraniens ne sont pas autorisés à utiliser ces réseaux) pour faire face à ses détracteurs et défendre les négociations qu’il dirige à Genève, tout en soulignant des lignes rouges concernant le droit de l’Iran de poursuive son programme d’enrichissement de l’uranium et de maintenir son programme nucléaire.

Le débat de politique intérieure en vue de faire avancer le programme nucléaire et en même temps négocier avec l’Occident est susceptible de se poursuivre et de s’intensifier. Ce n’est qu’à la fin du mois de janvier 2014 que l’accord intérimaire sera mis en vigueur. Dans l’attente, nous pouvons imaginer une possible amélioration des relations bilatérales avec les États-Unis mais dans la même veine l’opposition iranienne se manifestera sur des questions fondamentales concernant les droits de l’Homme, la liberté d’expression, les droits des femmes et sur les exécutions capitales commises quotidiennement par les gardiens de la Révolution.

Michael Segall