La Jordanie et le Hamas : la politique de détresse

wikipedia-inbari_expertJusqu’à présent, la Jordanie était le seul pays arabe à avoir boycotté le mouvement fondamentaliste, Hamas. Suite à une série de rencontres et réunions avec les dirigeants du Hamas, les services de renseignements jordaniens ont abouti à la conclusion qu’il serait préférable, dans le contexte actuel, de mettre fin à ces relations hostiles et de repartir sur des bases nouvelles. Les craintes de la Jordanie se multipliaient et se basent essentiellement, sur la possibilité d’être considérée un jour comme « une patrie alternative » aux Palestiniens. C’est pour cette raison fondamentale que la Jordanie est prête à étudier  toutes les formules pour la solution du problème palestinien sur la base exclusive de la « solution de deux Etats »: Un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et un Etat jordanien sur la rive Est du Jourdain. (La Transjordanie)
Le royaume hachémite pourrait envisager des arrangements dans le cadre d’une éventuelle confédération avec les Palestiniens  seulement après l’établissement d’un Etat palestinien indépendant à l’ouest du Jourdain.
La récente politique israélienne dans la bande de Gaza et la trêve (Tahida) avec le Hamas a mis la Jordanie et les autres pays modérés arabes dans un embarras. La trêve a brisé la politique d’isolement du Hamas. Plus encore, l’échange de prisonniers avec le Hezbollah, a forcé Israël à accepter de remettre au Hezbollah des corps de Jordaniens. Si Israël, pour des raisons pragmatiques, estime qu’il est approprié de négocier une trêve  avec le Hamas, pourquoi la Jordanie s’en priverait-elle ?
Depuis le traité de paix signé en 1994,  la Jordanie a coopéré étroitement avec Israël pour maintenir le statu quo à Jérusalem. Israël a formellement reconnu le rôle de la Jordanie  comme le seul gardien des lieux saints musulmans. Cependant, pour la restauration de la passerelle jouxtant la mosquée d’Al Aktsa, Israël a préféré collaborer directement avec l’UNESCO. Ce fait a été interprété par la Jordanie comme visant à mettre un terme à son rôle exclusif de dépositaire des lieux saints musulmans de Jérusalem.
Dans un contexte plus large, les médias arabes estiment  que la Russie est sortie grand vainqueur dans son conflit avec la Géorgie, au détriment des Etats-Unis et ses alliés occidentaux qui ont échoué à protéger leur allié géorgien. Suite à l’invasion russe en Géorgie, le roi Abdullah II s’est rendu à Moscou et a acheté des armes russes, conscient de toutes les implications qu’un tel geste comporte. Sa visite au Kremlin a été effectuée juste après la rencontre de Poutine et Medvedev avec le président syrien Assad.
L’influence du Hamas en Jordanie et en Cisjordanie est constamment en hausse. L’Iran et la Russie sont en cours de remodeler le Moyen-Orient. Dans l’attente, la Jordanie observe avec crainte et méfiance la politique de ses alliés traditionnels. Le processus de paix avec les Palestiniens et dans l’impasse et Israël a  engagé un dialogue diplomatique avec la Syrie et a focalisé la trêve avec le Hamas. La politique actuelle de la Jordanie peut être considérée   comme « un appel de détresse » qui devrait être entendu par Israël et l’occident car demain, il sera trop tard.
La politique du roi de Jordanie a donc fait un tournant de 180°. Ce pays voisin était le seul pays qui avait boycotté le mouvement fondamentaliste du Hamas et a interdit l’entrée à Amman de ses dirigeants. En 1999, Elle a fermé leurs bureaux et expulsé tous ses militants le jour ou les autorités hachémites ont révélé que le bureau du Hamas à Amman  programmait des opérations de sabotage et de terrorisme. Chassée de Jordanie comme l’OLP d’Arafat en septembre 1970, la direction du Hamas dirigée par Khaled Mashaal a tenté de se réinstaller à Qatar, mais vu le refus de Doha, elle a déplacé sa base d’opérations  à Damas. En avril 2006, la Jordanie a accusé ouvertement Mashaal d’avoir planifié l’assassinat de membres du gouvernement hachémite et de lancer des attaques terroristes contre le Royaume Uni.
En juillet 2007, suite à diverses réunions des services de renseignements jordaniens, les dirigeants du Hamas décident de réviser leur politique et d’ouvrir un dialogue direct avec le Hamas.
Face à l’effondrement du processus de paix d’Annapolis entre Israël et l’Autorité palestinienne, le gouvernement jordanien est préoccupé par la situation intérieure qui devient de plus en plus fragile. L’Iran, son partenaire syrien, le Hezbollah et le Hamas jouent un rôle déstabilisateur dans la région et la Jordanie observe la passivité d’Israël et des Etats-Unis à leur égard et constate qu’il n’y a  aucune volonté à les confronter.
Le roi Abdullah sent le danger comme le grisou. Il observe un contexte  régional  troublé qui provoquera l’effondrement probable du processus de paix israélo-palestinien, approfondira la faiblesse de l’autorité palestinienne et renforcera la puissance du Hamas en Cisjordanie et en Jordanie. Amman n’est pas certaine qu’Israël et les Etats-Unis et les autres pays occidentaux voient venir, comme elle, les menaces croissantes.
Le roi Abdullah a été l’un des plus grands supporters du processus d’Annapolis et a agi dans les coulisses comme l’un de ses avocats principaux.
Toutefois, tant que les négociations sont toujours dans l’impasse, Abdullah  perd tout intérêt et il est très inquiet par les développements futurs qui pourront être néfastes pour la Jordanie. Il prend donc des mesures préventives.
Selon le chroniqueur jordanien du journal Al-Ghad, Mohammed Hussein al-Mu’mini, « le changement a commencé lorsqu’Israël a conclu un accord Tahyda (trêve) avec le Hamas. Les négociations ont été dirigées par l’intermédiaire des Egyptiens comme si le Hamas est une entité politique souveraine. Ainsi avec le Hezbollah, Israël « a offert au Hezbollah une légitimité libanaise et internationale. Il aurait été préférable de remettre les prisonniers au gouvernement libanais. L’échange des corps jordaniens lors des tractations avec le Hezbollah a été “une provocation israélienne à l’égard de la diplomatie jordanienne et a bafoué l’esprit du traité de paix”
Un autre observateur jordanien, Hamadeh Farawna, considère que l’accord Taddiya du Hamas avec Israël est la principale raison qui a incité la  Jordanie à reprendre le dialogue avec le Hamas. Selon son analyse, la Jordanie a été également impressionnée par la détermination du Hamas d’imposer le cessez-le-feu à d’autres factions terroristes de Gaza et à respecter la Tahdiya.
Dans ce contexte « encourageant », Amman a décidé de réduire les tensions avec les Frères Musulmans de Jordanie.
En mai 2008, les Frères Musulmans en Jordanie ont élu Hammam  Saïd,  personnalité du Hamas de Jenin comme leur dirigeant. Saïd n’a pas caché ses opinions et estime que la Jordanie doit devenir un territoire propice pour la « muqawa » (résistance) comme à Gaza et au Liban.
Dans ce contexte, un dialogue politique est susceptible de se développer entre la Jordanie et le Hamas. L’organisation intégriste a aussi cherché un rapprochement avec la Jordanie pour promouvoir ses propres intérêts. Mécontente de son isolement dans la bande de Gaza et sa position précaire à Damas, elle se trouve dans l’obligation de revenir à Amman, dix ans après  son expulsion de Jordanie. En outre, les relations tendues entre le régime baasiste laïc  de  Damas et les Frères Musulmans ont intensifié la nature problématique de la présence du Hamas à Damas.
Les tensions se sont aggravées récemment suite à l’ouverture de contacts diplomatiques entre la Syrie et Israël. Le Hamas soupçonne que la Syrie pourrait exploiter les réunions avec Israël pour renforcer son emprise sur le Hamas. Un site Web du Fatah est allé encore plus loin en publiant un rapport selon lequel les services de renseignement syriens ont arrêté des activistes du Hamas à Damas. Il est même probable  que le Fatah a cherché à creuser un fossé entre le Hamas et la Syrie. Alors qu’il est même possible que le rapport a été fabriqué. L’environnement politique autour du rapport semble servir de prétexte pour sa publication.
Du point de vue du Hamas, l’élection en mai 2008 du dirigeant du Hamas Hamam Said à la tête des Frères Musulmans à Amman, a rendu la Jordanie  idéale pour les activités du groupe. Haled Mashaal a joué un rôle important dans le rapprochement du Hamas avec la Jordanie. Le 21 août 2008, lors d’un rassemblement à Damas, il a déclaré que le Hamas s’oppose à « tous les projets » en cours et qui  visent à installer les réfugiés palestiniens au Liban ou à « la patrie alternative » en Jordanie. Nous ne devons pas accepter une solution au détriment de la Jordanie, du Liban ni d’aucune autre partie (arabe).
En dépit des difficultés,  le royaume jordanien maintient  sa volonté d’aider les Palestiniens de Cisjordanie. Avant le processus d’Annapolis, la Jordanie été intéressée par l’expédition des forces du commandement palestinien Badr  en Cisjordanie afin d’imposer les règles de la loi.
Israël a rejeté au départ l’initiative, mais la Jordanie n’a toujours pas toujours démantelé le commandement des 2000 hommes, membres des forces de sécurité palestiniennes  recrutés par la Jordanie. cette force appartient à  l’OLP et maintient son allégeance au drapeau palestinien. Toutefois, la force est sous l’autorité complète du commandement suprême jordanien.
La décision  israélienne de torpiller l’option des forces Badr a mis au vestiaire une occasion inouïe pour faire progresser une coopération tripartite entre la Jordanie, Israël et les palestiniens modérés et afin de faire avancer la  Cisjordanie vers une solution permanente. Ce n’est qu’après de longues tractations que 550 soldats de cette force ont été déployés à Hébron en accord avec Israël.

Toutefois, l’engagement jordanien actuel du Hamas semble indiquer que le roi Abdullah poursuivra une position négative et plus conflictuelle envers Israël.
La Jordanie a déjà commencé dans ce sens avec sa nouvelle approche sur la question sensible de Jérusalem. Au début du mois d’août 2008, la Jordanie a lancé une campagne rhétorique contre des activités israéliennes qui semblait proche des déclarations du Hamas. Par exemple, le Hamas et la Jordanie ont rejeté publiquement le rôle de l’UNESCO dans les travaux de construction de la passerelle menant aux lieux saints musulmans.
Ainsi, la Jordanie tente par tous les moyens attirer l’attention internationale sur la question de Jérusalem. Ahmad Yusuf, conseiller du Premier ministre Ismail Haniye a déclaré récemment que « les contacts entre la Jordanie et le Hamas sont le résultat des développements régionaux et internationaux. » Sa déclaration voudrait dire :
1. Le Hamas est en train d’achever l’expulsion du Fatah de la Bande de Gaza, et entend prendre la Cisjordanie.
2. L’invasion russe en Géorgie signifie un rééquilibre des puissances au Moyen Orient qui joue en faveur du Hamas.
3. Les Etats-Unis et les alliés occidentaux ont échoué à protéger leur allié géorgien comme ils l’ont fait avec le Liban.
4. Lors de son voyage à Moscou, le roi Abdullah a visité une base russe près de Moscou et selon Al Khayat de Londres, une coopération militaire entre les deux pays est envisagée. La Jordanie aurait reçu un brevet pour fabriquer un missile russe anti-char RPG 32, qui s’appellerait « Hashem », avec la l’autorisation de le vendre à des pays tiers.

En conclusion, la Jordanie souhaite sauvegarder son accord de paix avec Israël, mais en même temps cherche à prouver son importance dans la région et à forcer Israël à la considérer plus sérieusement. Cet “appel de détresse » doit  être entendu en Israël et l’occident, car demain, il sera trop tard.